Et voici un dernier article (normalement) pour clôturer ma série sur les points de vue entamée ici. La question ne concerne encore une fois que la focalisation interne : comment choisir son narrateur ?
Parfois, le ou les narrateurs d’un texte s’imposent d’eux-mêmes, sans le moindre doute. Mais parfois, la question se pose longuement : qui choisir ? Un seul narrateur ? Deux ? Plus ? Uniquement les « héros » de l’histoire ou d’autres plus secondaires ? La question est sans doute d’autant plus importante pour les auteurs qui se limitent à un faible nombre de points de vue. Je n’aborderais donc pas l’exemple d’un roman-choral comme le Trone de fer (qui possède beaucoup trop de narrateurs à mon goût, je préfère les textes plus intimistes).
Le héros, narrateur ou pas ?
Il peut sembler évident de donner la narration au héros de l’histoire. Personnage principal, personnage sur lequel se porte l’attention du lecteur, qui porte l’intrigue et sa résolution, qui lutte pour parvenir à ses fins… c’est celui que suivra le lecteur, des premières aux dernières pages du livre. Alors, bien entendu, son point-de-vue est généralement évident. Car c’est par lui que passeront la plupart des conflits du roman, qu’ils soient externes ou internes. Il sera au coeur de l’action, focalisera les émotions, les pensées, les actes, les ressentis. C’est lui dont le passé importe le plus, aussi. Dont le caractère doit être le plus solide, le plus cohérent, afin de porter l’intrigue.
Pourtant… est-ce qu’il n’y a pas une autre solution ? Est-ce qu’il est possible, ou intéressant, de montrer le héros à travers d’autres yeux que les siens ? Cela arrive régulièrement lorsque plusieurs personnages se partagent la narration. Mais il arrive aussi, bien que ce soit plus rare, que le héros officieux d’un texte ne soit pas narrateur. C’est un thème que je me suis amusé à explorer dans une nouvelle : Sous leurs yeux, où le héros est vu tout du long par les yeux de deux personnages secondaires : son meilleur ami et la femme qui l’aime. C’est le moyen que j’ai trouvé pour entretenir un mystère, un questionnement sur les actes et les pensées du personnage essentiel du texte. Et c’est une technique qui me parait particulièrement intéressante lorsque le héros a un caractère particulier ou que ses actes possèdent une logique qui échappe à ceux qui l’entourent.
Une technique que je réutilise dans le roman Prison Putsh, où Paul est le narrateur unique alors qu’un second personnage a clairement autant d’importance que lui : PA. Sauf que… l’intérêt de PA, à mes yeux, c’était ce mystère, ce mélange étrange de force et de fragilité, et cette fascination incroyable qu’il exerce sur Paul. C’est pourquoi j’ai choisi de ne pas en faire un narrateur. Parce que je trouvais qu’il était beaucoup plus intriguant en n’étant vu que de l’extérieur.
Des narrateurs extérieurs pour nourrir l’intrigue
Mais parfois, les points de vue des personnages principaux ne suffisent pas à rendre claire l’intrigue qui sous-tend le roman. Parce que les héros ne savent pas tout, n’assistent pas à tout, et qu’il est parfois nécessaire de faire passer des informations au lecteur qu’eux-mêmes ignorent.
Dans ce cas, il est possible d’utiliser un point de vue extérieur, plus détaché, parfois plus haut dans l’échelle sociale où la hiérarchie. Ce narrateur permet de faire passer certaines informations, mais aussi de remettre en perspective l’attitude du héros. Parce qu’un héros parfait est souvent ennuyeux, il ne faut pas hésiter à montrer au lecteur les failles dans son raisonnement. C’est une technique que j’utilise assez fréquemment, en glissant un narrateur minoritaire par rapport aux autres, mais qui intervient sur quelques scènes pour apporter une dimension supérieure au récit. On y trouve alors un regard différent, plus global, parfois même antagoniste.
L’avantage de donner une narration à l’ennemi, au delà de l’ironie dramatique lorsque le lecteur possède des informations essentielles auquel le héros n’a pas accès (et sait donc, par exemple, que ce dernier se précipite dans un piège) est que ça oblige à creuser ce fameux ennemi. Trop de romans ont le défaut d’un antagoniste superficiel, dont les actes ont pour seule justification sa méchanceté. Permettre au lecteur de regarder le monde à travers les yeux de l’ennemi peut aider à le rendre… humain. A créer de l’empathie pour lui, et donc à créer un conflit chez le lecteur qui ne sera plus si certain qu’il veut voir le héros gagner. Ou du moins, pas à n’importe quel prix.
Écrire une romance, combien de narrateurs ?
Il est courant dans la romance d’avoir deux narrateurs, les deux membres du couple. C’est d’ailleurs ce qui a ma préférence. Lorsque le roman ne se concentre que sur un des deux protagonistes, j’ai tendance à trouver que l’autre… manque. (Certes, c’est ce que j’ai fait sur Prison Putsh, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je compte inverser les narrateurs dans le tome suivant).
Cependant, j’ai une tendance assez marquée à rajouter un troisième narrateur minoritaire, comme je l’expliquais plus haut. Peut-être parce que mes romances ne sont presque jamais que ça, qu’il s’y mêle un univers, une intrigue, une enquête… et que bien souvent, les amoureux s’y retrouvent mêlés bien malgré eux et n’ont pas les billes pour s’en sortir seuls. D’où l’arrivée sur un coin de la scène d’un personnage secondaire, allié ou antagoniste, qui permettra au lecteur de suivre l’intrigue sans s’y perdre et parfois d’explorer l’univers qui entoure la romance.
C’est le cas dans Nuits Blanches. Les héroïnes de ce roman sont situés en bas de « l’échelle sociale » de leur monde, perdues au milieu des conflits de gangs sur lesquels elles n’ont aucune maîtrise. D’où la présence de Marc, chef de gang mouillé jusqu’au cou, connecté qui nous permet de découvrir tout un pan d’univers inaccessible à Aurore et Iris. Et bien souvent, le narrateur minoritaire se rajoute en cours de route, lorsque je réalise en avoir besoin.
J’écris donc toujours des romances, mais je ne crois pas avoir déjà écrit un texte avec uniquement deux narrateurs. Dans Le fils du Cobra, des échanges de lettres permettent d’accéder à des informations venant du haut de la hiérarchie. Dans Habemus Papam, un personnage extérieur à priori insignifiant a lui aussi un point de vue qui permet de mieux comprendre l’univers. Dans Painful Hunt, c’est le méchant que l’on suit par intermittence. Dans La traque, un personnage ambigüe, entre allié et antagoniste, nous montre ce qu’il se passe dans un autre lieu. Et Prison Putsh et Freedom Maze n’auront, eux, qu’un seul narrateur.
Voilà un petit récapitulatif des situations que j’ai exploitées dans mes textes. Bien entendu, ça ne résout pas l’épineuse question qui revient régulièrement en cours d’écriture : quel narrateur pour cette scène ? 😉
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