Écrire des dialogues peut paraître très simple aux apprentis écrivains. Après tout, nous savons tous mener une conversation banale avec des amis. Il n’y a donc qu’à refaire la même chose avec nos personnages. Beaucoup plus facile qu’une description laborieuse ! Sauf que… pas tout à fait. Un dialogue réussi est souvent un dialogue qui a l’apparence du naturel sans l’être vraiment.
Je vous propose donc un premier article de conseils, portant principalement sur la contextualisation des échanges. Parce qu’une discussion ne s’extrait jamais totalement du lieu et des conditions dans lesquelles elle a lieu. Et que c’est aussi ce bruit de fond permanent qui rend les dialogues intéressants.
La mitraillette à répliques
Le premier défaut remonté par mes bêta-lectrices, sur mon tout premier texte, c’était ma manie à enchainer les répliques comme un tir de mitraillette. La plupart de mes dialogues avaient lieu entre deux personnages. Pas de soucis alors pour savoir qui parlait, ou pas trop. Logiquement, ils s’expriment l’un après l’autre. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire de pauses régulières dans le dialogue afin de recaser pensées, émotions, contexte, fond sonore, langage corporel, etc… ou le lecteur risque fort l’indigestion.
La règle informelle que j’applique depuis, c’est jamais plus de quatre répliques sans une pause narrative. La pause n’a pas besoin d’être longue, il vaut d’ailleurs mieux qu’elle ne le soit pas trop pour que le lecteur ne perde pas le fil de la discussion. Mais une phrase ou deux permet de replacer celui qui parle, d’indiquer le ton de la dernière phrase, de montrer une grimace ou un sourire, une gorgée de bière, une pensée outrée, un serveur qui passe, un bruit notable en fond. Bref, permet de recaser le dialogue dans son contexte général et ne pas laisser le lecteur oublier où se trouvent les personnages, qui ils sont, et ce qu’ils font à côté.
Petit exemple :
Mitraillette
« — Et toi ? Quoi de neuf au chenil ?
— La routine. Alpha me file des missions de contact.
— Et ça te plait ?
— Ça dépend. Clairement, y a des trucs chiants.
— Genre ?
— Faire le tour des fournisseurs, c’est chiant. Allez foutre la trouille à nos protégés c’est plus marrant, déjà.
— Et donc, pourquoi tu fais la gueule ? À part que c’est ton état naturel, je veux dire. »
Contextualisé
« — Et toi ? Quoi de neuf au chenil ?
— La routine. Alpha me file des missions de contact.
— Et ça te plait ?
Fest décrocha le mouchoir tâché de sang de sa joue, voulu le rendre à Tiboum avant de percuter que son pote s’était volatilisé. Elle le fourra dans sa poche, prit une nouvelle gorgée de bière pour se laisser le temps de réfléchir.
— Ça dépend. Clairement, y a des trucs chiants.
— Genre ?
— Faire le tour des fournisseurs, c’est chiant. Allez foutre la trouille à nos protégés c’est plus marrant, déjà.
Aurore se rembrunit, rappelant à Fest qu’elle n’avait pas toujours apprécié les Loups. Loin de là. Bon, sûr que quand on est du côté de ceux qui raquent, c’est moins fun. Mais le gang avait sauvé les miches à sa famille, alors elle avait rien à dire sur l’efficacité de leur protection.
— Et donc, pourquoi tu fais la gueule ? À part que c’est ton état naturel, je veux dire.
Fest cligna des yeux, surprise. Elle ne faisait pas la gueule ! C’était juste… elle lâcha un soupir blasé. Aurore était pas censée la connaître si bien. »
Aurore et Fest, Jours Rouges
Explication
Dans le premier passage, le dialogue est compréhensible. Nous avons deux personnages qui discutent, elles font ça sagement, dans l’ordre, et parlent chacune leur tour en répondant aux questions de l’autre. L’ensemble est donc assez cohérent. Mais cette succession de répliques courtes à l’inconvénient de ne pas laisser de pause au lecteur. Est-ce que vous n’avez pas terminé votre lecture un peu hors d’haleine, avec la sensation d’avoir survolé ce passage presque en apnée ?
Dans le second passage, les répliques sont les mêmes, mais les pauses narratives apportent des compléments d’information. La mention d’autres personnages et de la bière rappellent au lecteur que les héroïnes se trouvent dans un bar, qu’il y a donc du mouvement et du bruit autour d’elles. Les mimiques et pensées des personnages éclairent de manière un peu différente les répliques, leur apporte du background et de la profondeur. Elles indiquent les pauses et les hésitations du dialogue, et obligent le lecteur à faire de même. Ce qui permet de conserver son attention et lui permet de mieux intégrer les informations.
Incises ou pas incises ?
C’est en partie grâce à cette nouvelle conception des dialogues que je suis parvenue à me passer entièrement des incises. Vous savez, ces « dit-il », « s’écria-t’elle » que l’on glisse en fin ou en court de réplique pour replacer qui parle et indiquer le ton.
Le souci, c’est qu’utiliser des incises me mettait toujours un peu mal à l’aise sans que je ne sache trop pourquoi. Je n’aimais pas ça, je trouvais cette manière de faire confuse, avec ce mélange un peu bâtard entre réplique et narration, ces conventions typographiques tordues que je n’arrivais pas à maîtriser.
C’est en écrivant une série d’articles sur les points de vue que j’ai découvert le « Deep point of view » (le point de vue profond). J’ai alors réalisé que je le reproduisais sans m’en rendre compte dans mes textes.
En effet, certains récits (en particulier en littérature récente) s’affranchissent des règles « traditionnelles » de dialogue pour immerger plus encore læ lecteur·trice dans l’histoire. Pour cela, ils suppriment tout ce qui lui rappelle qu’iel est en train de lire, en particulier les incises, pour les remplacer par une narration au plus proche de la pensée du personnage en point de vue. Cette technique narrative est particulièrement adaptée aux récits à la première personne, mais peut tout également s’appliquer sur une narration interne à la 3ème personne.
Bien entendu, il ne s’agit pas là d’un conseil d’écriture, dans le sens où les incises ne sont absolument pas une technique à proscrire. Beaucoup d’auteur·trice·s les utilisent de manière très efficace et naturelle, et il n’y aucun soucis avec ça. Mais il est intéressant de savoir qu’elles ne sont pas une obligation et que l’on peut obtenir un résultat aussi « parlant » avec une autre technique. Même si c’est beaucoup plus casse-tête dans les dialogues à plusieurs (sinon c’est pas drôle).
Petit exemple :
Incises
« — Ça cause des mercos en bas.
— Ils disent quoi ? l’interrogea Alpha.
— Ils se demandent qui a assez thunes pour les embaucher, répondit Fest. Aka confirme qu’elle en connait au moins une qui a touché le pactole, mais y a personne qui l’ouvre. Vous pensez que c’est qui ? Les bulleux ?
— Ce serait étonnant, la contredit Nathan. Ils ont assez de drônes pour pas avoir à payer des mecs qui risquent de les trahir. Et puis, ils ont déjà les collabos dans leur poches.
— Une infiltration ? suggéra Fest avec hésitation.
Un sourire joua sur les lèvres de son chef, indiquant qu’elle avait encore sortit une énormité.
— Si c’est le cas, ils décrochent le prix du manque absolu de discrétion. «
Pas incises
« — Ça cause des mercos en bas.
— Ils disent quoi ?
— Ils se demandent qui a assez thunes pour les embaucher. Aka confirme qu’elle en connait au moins une qui a touché le pactole, mais y a personne qui l’ouvre. Vous pensez que c’est qui ? Les bulleux ?
Nathan lui retourna une moue sceptique, les doigts jouant avec son verre encore plein.
— Ce serait étonnant. Ils ont assez de drônes pour pas avoir à payer des mecs qui risquent de les trahir. Et puis, ils ont déjà les collabos dans leur poches.
Fest grimaça, tenta quand même une hypothèse, les yeux rivés sur Alpha.
— Une infiltration ?
Un sourire joua sur les lèvres de son chef, indiquant qu’elle avait encore sortit une énormité.
— Si c’est le cas, ils décrochent le prix du manque absolu de discrétion. »
Fest, Alpha et Nathan, Jours Rouges
Explication
Ici, on voit les avantages et les inconvénients de chaque technique. Clairement, pour un dialogue à plusieurs, les incises ont l’avantage de rendre les échanges plus limpides. Le lecteur a plus de facilité à savoir qui parle, puisque c’est indiqué dans la réplique et non suggéré avant ou après celle-ci.
Cependant, l’absence d’incises oblige l’auteur à réaliser plus de pauses dans le dialogue, lui permettant de développer un peu plus le contexte et les attitudes des personnages. Et surtout, chaque passage narratif est écrit avec la « voix » du personnage point de vue (ici : Fest) et permet d’aider à le caractériser. Même si clairement, cet exemple n’est pas le meilleur que je pouvais trouver pour montrer cet aspect.
Voilà pour la contextualisation des dialogues ! Je reviendrai prochainement avec un second article, qui portera cette fois sur le naturel (ou non) des échanges.
Pour les curieux, voici les liens vers mes anciens articles sur les points de vue :
Les points de vue, généralités
Narration à la première personne du singulier
Point de vue à la troisième personne et « deep point of view »
Les narrations intriguantes
Comment choisir son narrateur ?
1 réflexion au sujet de “Les dialogues, ou la mise en contexte”