Au cours de l’année écoulée, j’ai lu plusieurs livres (de la non-fiction, pas des romans) sur les thématiques de l’autisme au féminin et du HPI/HPE (Haut-Potentiel Intellectuel/Emotionnel). « Je pense trop » de Christel Petitcollin est le dernier en date. C’est le premier à m’avoir vraiment parlé, même si j’y ai aussi trouvé du mauvais (voire rageant).
Surefficience mentale et autisme
Le livre commence sur une affirmation : la surefficience mentale (terme qui remplace ici HPI/HPE) correspondrait à une prédominance du cerveau droit. Bien sûr, j’en ai parlé avec Karine. Et bien sûr, ça s’est terminé sur une recherche biblio des dernières études médicales avec IRM fonctionnelle pour vérifier la véracité scientifique de l’affirmation. Résultat : pas de preuve que les autistes / surefficients utilisent plus leur cerveau droit. Oui, il y a des différences notables entre ces gens et les « neurotypiques », mais ces différences sont elles-mêmes d’une grande variabilité… et rien qui concerne les hémisphères cérébraux.
Cette première affirmation déboutée pour absence de preuve… passons à la suite. Pour Christel, l’autisme et la surefficience (sincèrement, ce mot est une purge à écrire) seraient définitivement liés. Elle considère que les traits autistiques seraient des mécanismes de compensation mis en place pour gérer un fonctionnement cérébral autrement ingérable dans notre société. Voilà qui se rapproche du discours très interpellant d’Alistair sur l’ineptie du diagnostic HPI. Christel n’hésite d’ailleurs pas à critiquer vertement les tests de QI, basés avec un biais évident sur des valeurs d’intelligence scolaires et occidentales. D’après elle, ces tests ont même été utilisés pour « démontrer » des théories classistes affirmant que les populations précaires étaient moins intelligentes.
Bien entendu, les populations précaires sont moins instruites. Cela fait partie des privilèges de classe (moins de temps pour apprendre, moins de possibilités de faire des études supérieures, moins d’aide aux devoirs à la maison, moins de sorties culturelles (car moins de temps/d’argent à y consacrer). Quoi d’étonnant alors à ce qu’elles réussissent moins des tests basés sur des réponses à des questions de français, de mathématique et de culture générale ? Bref, je m’égare. À la base, nous parlions d’autisme.
Car oui, les traits HPI dépeints dans la plupart des livres consacrés au sujet matchent étrangement les traits de l’autisme « léger » (voir ici pourquoi parler de niveau d’autisme est aussi globalement une mauvaise idée). Si les HPI étaient juste des gens qui ont une intelligence « supérieure », alors quid des difficultés sociales, de la rigidité mentale, des hyper et surtout des hyposensibilités ? L’intelligence n’est pas supérieure, elle est différente. Et de cette différence découle une appréhension différente du monde. Au final, n’est-ce ça, l’autisme ?
De la psychophobie ordinaire
Un point du livre m’a cependant fortement déçue. Après avoir vu l’autrice critiquer vertement les tests de QI, j’avoue avoir été choquée de la voir mentionner Asperger sans la moindre évocation de son appartenance aux nazis. Si le QI est classiste, la « classification » d’Asperger était totalement validiste. Elle servait en effet à séparer les autistes « récupérables » de ceux à emmener en chambre à gaz. Ce n’est quand même pas anecdotique, comme contexte.
De même, certaines phrases psychophobes du livre m’ont fait grincer les dents. A vouloir à tout prix rassurer les surefficients qu’ils ne sont « pas fous », l’autrice dénigre les fols et met en place une nouvelle échelle de valeur, tout aussi biaisée que celles que l’on trouve ailleurs. Guère étonnant alors que certains reprochent aux populations autistes d’être parfois élitistes et maltraitants ou méprisants envers les autres catégories neuroatypiques.
Mais des conseils pratiques
Malgré ces points négatifs franchement problématiques, j’ai trouvé la partie pratique du livre intéressante, dans ce fait qu’elle est, pour une fois, vraiment pratique.
On nous assène si souvent de réguler nos émotions, d’apprendre à ne plus nous laisser envahir par la peur, mais comment ? Christel propose une véritable « technique » : la mise en place d’un état émotionnel ressource. En lisant, j’ai tout de suite associé cette idée aux « token » du film Inception, qui permet de savoir si l’on est dans le rêve ou la réalité.
Ce token serait un objet ou un geste permettant, par conditionnement, de se plonger dans un état mental « ressource » en fonction de ses besoins : concentration, courage, sérénité… Par exemple, si l’on retourne un sablier avant chaque session d’écriture, notre cerveau intégrera ce rituel et aura plus de facilité à enclencher le mode « concentration » lorsque l’on retournera un sablier* (oui, il faut en avoir un sous la main, même si je suis persuadée qu’avec un peu d’intégration, le simple geste dans le vide peut fonctionner).
Le livre aborde d’autres éléments pratiques : le palais mental (organisation des souvenirs sous la forme d’un lieu), la mind map (poser ses idées sous forme d’organigramme plutôt que de liste), les niveaux de logique (séparer donnée contextuelle / acte / valeur pour prioriser certains éléments et adapter notre réaction).
Du coup, Cerveau me dit qu’avec son sens de l’orientation proche de celui d’une huître, il ne retrouvera jamais ses informations dans un palais. Il cherche une autre forme de classification mentale… je vous dirais si j’en trouve une ou si je continue à vivre dans mon studio bordélique intérieur. Pour la mind map, je devrais clairement en faire plus souvent (mais j’aime d’amour les listes).
Bon, vous pouvez vous passer de la conclusion du bouquin. Elle est atrocement binaire, sexiste et hétéronormée. Pour un focus sur une population ayant un tel taux de personnes LGBT+, je trouve ça honteux.
* Merci à Samantha Bailly qui a partagé l’astuce du sablier sur ses réseaux.