Ketty Steward a sorti cette année un essai intitulé « Le futur au pluriel : réparer la science-fiction », elle y appelait à un droit de réponse. Même si je sais que la réponse attendue l’est plus dans les actes que dans les mots, j’ai décidé de commencer par ce blog.
Que répondre, si ce n’est que je suis d’accord ? Alors j’ai décidé de répondre autrement, en me demandant si moi, à travers mes textes parus et à venir, je pouvais faire partie de ce futur qu’elle appelle de ses voeux. Je vais donc explorer son essai de manière déstructurée et biaisée, non sous le prisme des constatations passées, mais sous celui de mes thématiques, de ce que j’écris et de ce que j’aimerais écrire.
Disclaimer : je ne parlerai pas dans cet article de racisme, de personnes et personnages de couleur, et de la sacro-sainte norme occidentale. Certains de mes personnages sont racisés, mais je n’ai rien à apporter ici, si ce n’est écouter et tenter de faire le moins mal possible. De même, certains passages, bien qu’intéressants, n’ont pas raisonné aussi profondément avec mes préoccupations du moment. Je vous invite donc à lire cet essai, et à en faire votre propre analyse.
Où se situe ma neutralité ?
Dans son essai, Ketty indique que le récit est toujours situé. Même lorsqu’il se veut porteur de neutralité, le récit n’est pas décorrélé des valeurs, des expériences et de la manière de penser de san auteurice. On écrit depuis l’endroit où on se situe dans le monde et dans la vie, qu’on en ait conscience ou pas. Et aucun de ces endroits n’est « neutre » et universel.
Alors, que peut-on faire de ce récit situé ?
La première chose est peut-être d’avoir conscience de l’endroit où se situe notre « neutralité personnelle ». Quand moi, femme blanche LGBT supposée autiste, j’écris une histoire, est-ce que cette histoire appartient à la même neutralité que celle d’un auteur homme blanc hétéro valide ? À quel point mon récit est-il influencé par les romans des années 90 qui ont forgé ma jeunesse ? Est-ce que j’arrive à écrire depuis l’endroit où je me situe, moi, aujourd’hui, avec mes interrogations existentielles, mes flous, mon idéalisme dont je ne sais que faire et mes goûts parfois douteux ? Est-il possible, à travers un roman, de montrer ma neutralité ? Et si oui, comment ?
Vers une SF queer
Le queer est la cohésion de tout ce qui est en conflit avec le monde hétérosexuel capitaliste. Le queer est un rejet total du régime de la normalité.
Le futur au pluriel
J’écris des persos queers, je l’ai toujours fait. Mais est-ce que j’écris des récits queers ? Qu’est-ce qu’un récit queer, au-delà d’un récit qui présente des personnages différant de la norme sans les caricaturer ? Et c’est là que ça pêche. Quand j’écris un roman comme « Brisés », roman de fantasy militaire, j’écris des personnages certes divergents et marginalisés. Mais peuvent-ils porter un message de changement quand ils sont prisonniers de leur carcan et ne prévoient pas de s’en extraire ? Quand on parle de récit queer, cela m’évoque avant tout des dystopies young adult comme Hunger games ou Divergente, dont les récits parlent de lutte des classes et de révolution. Alors, qu’est-ce que mes personnages ont à leur apprendre, à ces jeunes qui font la révolution, quand les miens s’y refusent obstinément ?
La pseudo conclusion (pas du tout conclusive) qui me vient, c’est que la diversité, c’était progressiste il y a vingt ans. Aujourd’hui, il faut interroger la norme et son statut de norme. Écrire un roman qui propose un autre paradigme. Et même après deux lectures de cet essai, je ne suis pas sûre de savoir comment faire ça.
Quelle vision du handicap ?
Cet essai nous explique à quel point le handicap d’un personnage fait souvent récit : un récit de sidération, d’acceptation, qui mène sur le fait de « surmonter » son handicap et d’en faire une force. Et si le handicap pouvait simplement être accepté et devenir un point de caractérisation comme un autre d’un personnage qui a aussi d’autres choses à dire ? Mais ce point de vue est souvent disqualifié. Même les auteurices concernés hésitent souvent à écrire le handicap et leur point de vue sur le monde.
Alors, quid de l’autisme ?
J’écris énormément de persos handicapés, mais je n’ai jamais écrit de personnage autiste. Pour moi, le point de vue autiste tel que je le connais et me le représente n’a aucun intérêt. Pourquoi écrire ce que je sais déjà ? Car moi, ce que j’aime dans l’écriture, c’est m’enfoncer dans la tête de l’autre. Écrire l’altérité, pas par rapport à une soi-disant norme, mais par rapport à moi. Ce faisant, peut-être que je manque d’offrir aux autres un point de vue qui leur permettrait de comprendre cette partie de la population dans laquelle je me tiens. Ou peut-être que je n’ai pas besoin d’être aussi frontale. Peut-être que mes récits sont déjà autistes par essence, puisqu’ils sont écrits par moi, depuis la marge, sur des thèmes qui me forgent et m’animent : la différence, la société, la rencontre, l’acceptation de soi et des autres.
Le récit qui construit
Lorsque nous avons conscience d’écrire un récit situé et militant, reste une question : Quelles valeurs voulons-nous porter ?
Ketty appelle cela la dichotomie entre le « récit qui tue » et le « récit qui contient » (que j’ai envie de renommer « le récit qui construit »). Le récit qui tue est orienté vers le combat, la conquête. Il porte des valeurs connotées comme masculines. Le récit qui construit parle de lien, de société, de commencement. Je crois que mon problème est que j’ai tendance à écrire des récits qui tuent. Ou peut-être que mes textes sont des mélanges des deux. J’aime les romans d’action, les personnages guerriers, les grandes batailles. Pourtant, je les ai toujours écris de manière intimiste. Ce qui me plaît dans ces récits, ce sont les émotions, les rencontres, les liens et les remises en question. Et si mon apport à moi, c’était d’instiller des gouttes qui construisent au cœur des tueries ? J’espère que ce sera suffisant.
Créer un autre monde, un autre futur
Anticiper, c’est-à-dire imaginer ce qui se pourrait, examiner ce que l’on désire, et éventuellement s’en servir, au présent, pour orienter son action.
Futur au pluriel
Les anciens auteurices de SF inventaient. Aujourd’hui, nous suivons leurs traces, mais inventons-nous encore ? C’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile à faire : inventer. Ne pas se contenter de raconter la fin de notre monde, de la France, du capitalisme, de l’occident, de la planète… À la place, en proposer un autre qui soit tourné vers l’avenir et le positif. Ce que nous proposons peut aller au delà de l’hégémonie des sciences dures, de l’hétéronormativé monogame, de l’héritage de la colonisation et du capitalisme ! Nous, les auteurices du futur, nous pouvons proposer et porter de nouvelles idées qui se combineront entre elles pour offrir de nouvelles perspectives.
Peut-être que c’est ça : je ne peux apporter une réponse à moi toute seule. Les collapsologues ont tenté d’alerter, mais aucune solution à grande échelle ne viendra jamais, parce qu’il n’y en a aucune qui préserve le confort des puissants. Alors, chacun dans notre coin, à nous de proposer des bribes de réponses qui pourront être assemblées. Et si je ne sais pas offrir un monde non technophile et non hiérarchique, je peux au moins proposer la partie non hétéronormée et ce sera déjà un pas dans la bonne direction : une direction alternative. Et je serais là pour lire, supporter et faire connaître les solutions apportées par d’autres vis-à-vis de la gouvernance et de la société de consommation.