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Griffes et crocs, Technique et outils

Bêta-lire ou ne pas bêta-lire ?

Suite à une animation saisonnière sur mon forum d’écriture, j’ai refait une bêta-lecture*. Ce qui ne m’était pas arrivé depuis… plus d’un an ?

Digression : Le forum d’écriture en question est l’atelier perché. Un forum d’échange, d’entraide et d’émulation entre auteurices où nous nous efforçons de respecter toutes les minorités et d’écrire en bonne entente. Comme tous les forums à notre époque, il n’est pas excessivement actif. Mais il a le mérite d’exister et ne demande qu’à voir arriver de nouveaux venus en quête d’échanges et de conseils ;).

*Bêta-lecture : Lecture critique d’un texte en cours de travail, dans le but d’aider l’auteurice à y apporter des améliorations.

Pourquoi j’aime bêta-lire ?

À l’origine, la bêta-lecture n’était pour moi que la part obligatoire d’un échange de bons procédés. Je bêta-lisais les textes des autres, en échange de bêta-lectures sur mes propres écrits. Mais à mesure que je me suis perfectionnée dans l’exercice, j’en ai tiré d’autres bénéfices.

D’abord, apprendre à analyser des textes imparfaits m’a permis de voir des erreurs que je faisais moi-même, parfois sans m’en rendre compte, ou de réaliser leur impact sur la cohérence ou l’attractivité du récit. En lisant les textes de personnes qui étaient au même niveau que moi, ou moins expérimentées… j’ai progressé, j’ai découvert les différentes manières de faire des erreurs, les impacts sur la lecture, les solutions que l’on pouvait y apporter. En gros, j’ai appris à analyser des textes mieux qu’aucun cours de français de collège ou de lycée n’y était parvenu.

L’idée n’est pas ici de se demander ce que l’auteurice a voulu dire, puisque je l’ai à portée de clavier pour lui poser la question. L’idée est d’analyser ce que tel procédé narratif provoque comme sensation et impact à la lecture, et comment modifier cet impact :

Est-ce que la narration au présent est adaptée à ce récit ? Est-ce que ce personnage est le bon point de vue pour exposer cette situation ? Est-ce que ce texte est assez show** ? Qu’est-ce qui me déplaît quand il ne l’est pas assez ? Est-ce que cette promesse narrative est tenue et pourquoi j’en ressens de la frustration à la lecture ? Pourquoi est-ce que cette description m’ennuie, mais pas celle-là ?

Analyser la structure, la narration et les techniques d’écriture des autres m’a beaucoup appris. C’est en partie comme cela que j’ai découvert ce que j’aimais, ce que je voulais faire et comment je pouvais le faire.

Mais tout cela explique ce que la bêta-lecture m’a apporté, et non ce qui me plaît dedans. Alors… eh bien j’ai toujours aimé relever des défis. Et parfois, choisir de réaliser une bêta-lecture sur un texte que je n’ai pas lu, de quelqu’un que je ne connais pas, est une forme de défi auto-imposé. Que vais-je trouver à dire sur ce texte ? Est-ce que je vais réussir à analyser ses ressorts narratifs à partir de mes simples sensations de lecture ? Et c’est la raison pour laquelle je m’obstine à proposer des bêta-lecture avant de lire le texte en question. Pour le défi !

Autre constatation, j’ai réalisé que j’aimais beaucoup bêta-lire des débutants. L’exercice peut paraître plus simple en apparence, mais ce n’est pas forcément le cas. Au-delà du style qu’il n’est pas très compliqué de corriger, ou des petites erreurs de cohérences à relever, c’est plus une structure générale. Je n’aime pas ce texte, mais il me reste à déterminer si c’est du goût personnel ou si cela provient d’un défaut. Bien sûr, l’idée même de défaut est à prendre avec des pincettes. Tout est relatif, et dépend des intentions de l’auteurice. Mais ce personnage est-il fade parce que c’était voulu comme ça, ou parce que l’auteurice n’a pas réussi à lui insuffler assez de vie ? Si c’est l’option deux, une bêta-lecture peut permettre de faire réaliser à l’auteurice un défaut général de son écriture et de trouver ensemble un moyen de le corriger. Après tout, c’est grâce à une bêta-lecture que j’ai compris ce qu’était le « show don’t tell »** et comment écrire des scènes plus immersives et plus vivantes. Ce jour-là, en un instant, ma pratique a fait un bond fabuleux. Et j’aime me dire que peut-être, je permets parfois à d’autres de faire ce type de bond en avant.

**Show don’t tell : Pratique narrative visant à rendre le récit plus immersif en jouant sur les sensations, les actions et les émotions des personnages, plutôt que sur un récit d’évènement.

Pourquoi je bêta-lis beaucoup moins ?

La première et évidente réponse est un manque de temps. Ou plutôt… un changement de priorités. À l’époque où je bêta-lisais beaucoup, cela faisait partie intégrante de mon travail sur mes textes et sur mon apprentissage de l’écriture. Aujourd’hui, c’est quelque chose dont j’ai moins besoin. J’ai déjà identifié la plupart des procédés narratifs et de mes défauts. Ce dont j’ai besoin, c’est d’écrire et de retravailler mes textes, d’être les mains dans mon cambouis, et non plus dans celui des autres. Alors, mon temps et mon énergie disponibles, je les consacre à mes textes, à ce blog et à la photographie.

La seconde raison est… que la plupart des demandes de bêta-lecture me viennent de mes amies d’écriture. Et là… j’ai un plus gros problème. Je crois qu’à force de passer des années à se lire mutuellement, et à tomber grave amoureuse de leur écriture… je n’ai plus aucune objectivité. Ce que la bêta-lecture offre de distance, qui permet d’analyser un texte envers lequel on n’est pas émotionnellement impliqué, je ne l’ai plus. Leurs textes, leurs univers, leur style, leurs personnages : je les connais par coeur, je les lis version après version, hésitation après hésitation, brainstorming après brainstorming. Je les aime comme les miens, parfois plus. Et je suis terrifiée à l’idée de me lancer dans une bêta-lecture à l’issue de laquelle je ne pourrais rien dire d’autre que : « Je sais qu’il y a sans doute des défauts, mais je ne les vois pas. »

Je culpabilise parfois de ne plus leur offrir cette aide. Mais j’ai peut-être encore plus peur d’échouer à leur offrir l’aide et la précision du regard critique que leur texte mérite.

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