Ce sont des genres dont on entend de plus en plus parler, qui m’intriguent et m’interpellent, autant qu’ils me questionnent. Alors tentons de voir un peu de quoi il retourne et ce que ça implique !
Une place pour les fictions optimistes et non guerrières
De nombreuses formes de fiction sont basées sur la violence et le conflit, qu’ils soient à petite ou à grande échelle. Les fictions policières, les quêtes épiques pour sauver le monde, les rébellions contre la tyrannie, les drames familiaux, les guerres, le post-apocalyptique, les romans de cours, la plupart des romans historiques… on nous apprend d’ailleurs, en narratologie, que c’est le conflit qui est le vecteur principal de l’histoire : celui entre les héros et les antagonistes, entre les héros et leur environnement et entre les héros et leurs alliés. Ce sont souvent les bases annoncées pour raconter une histoire : les conflits, les enjeux et l’évolution des personnages. Et je ne peux pas dire le contraire, parce que ça fonctionne super bien.
Mais il y a des gens (depuis longtemps) qui travaillent à proposer d’autres types de récits. Des récits plus optimistes, plus lents, plus posés. Des récits où les enjeux ne sont pas le sort du monde et où les résolutions ne passent pas par le pistolet laser ou l’épée. Et même si (honte à moi) je ne l’ai jamais regardé, il me semble que Star Treck en fait partie. Dr Who s’y essaye un peu, avec son arc de rédemption et son héros armé uniquement d’un tournevis. Mais force est de constater que c’est loin de fonctionner à tous les coups (traumatisme, crimes de guerre, tout ça, tout ça…) et c’est aussi quand il pète un câble qu’on aime le Docteur.
Alors, est-il possible d’écrire des romans sans violence ? Une vision optimiste de l’avenir et de l’humanité ? C’est une question qui a été explorée par plusieurs auteurices et qui est au coeur des genres dont leurs récits sont précurseurs.
La fiction panier et Ursula Le Guin
C’est en 1986 qu’Ursula Le Guin pose les bases théoriques d’un genre qu’elle explore déjà à travers ses textes : la fiction panier. Vous pouvez trouver son explication accessible gratuitement (en français) ici. Mais en résumé : la fiction panier repose sur les récits des cueilleurs, par opposition aux récits des chasseurs. Armés de paniers et non de lances, leurs histoires racontent moins d’actes héroïques, et plus de quotidien, d’entraide et de volonté de faire communauté.
Je n’ai pas lu énormément de romans d’Ursula Le Guin, mais j’ai tenté La main gauche de la nuit. Dans ce roman, le conflit politique passe principalement par l’ostracisation et l’exil. Et nous avons de très longs chapitres qui racontent comment deux personnages vont affronter la traversée d’un glacier. Ce récit n’est pas exempt de danger et de tension, mais il parle aussi et surtout de partage, de cohabitation forcée, de différence culturelle et de résilience.
Et ça, c’est une forme de récit qui me paraît intéressante à développer. Et c’est le genre de textes dont je voudrais m’inspirer pour écrire Belle du désert. Je voudrais en faire un roman qui soit politique sans être impitoyable ou sanglant. Un roman qui parle d’échanges culturels, de coopération et de « réfugiés climatiques » entre deux peuples en paix, mais sans que ce soit naïf. Essayer de rendre possible, dans un texte de fantasy, l’ouverture d’un dialogue géopolitique construit, âpre, conflictuel, mais qui ne se règle pas sur un champ de bataille ou en colonisation. Parce que c’est aussi à cette exploration que servent les histoires, et que c’est un pan dont il reste pas mal de facettes à explorer.
Le hope punk et Becky Chambers
Je vous ai déjà écrit un article, sur mon rapport aux différents genres du punk. En voici un (ou deux) que je n’ai pas encore traités : les genres du hope punk et du solar punk. Lorsque je demande à Wikipedia, la définition du hope punk est assez semblable à celle que je vous ai donnée des romans panier : des récits optimistes basés sur la coopération, la bienveillance et la recherche de solutions communautaires aux problèmes. Le solar punk se fonde sur les mêmes bases générales, avec un axe et une esthétique plus futuristes et marqués par les énergies renouvelables.
Becky Chambers est connue, ces dernières années, pour écrire des romans de space opera qui s’identifient clairement à ce genre. Dans sa série Les voyageurs (Wayfarer en VO) aux nombreuses races aliens, les races sentientes sont parvenues à une entente qui n’est basée ni totalement sur le pouvoir, ni sur la technologie, ni sur les possessions. C’est un marché de libre-échange, bien sûr. Et il n’est pas exempt de guerres. Mais les races bienveillantes qui partagent leur technologie sont nombreuses et les histoires racontées par Becky Chambers se déroulent toujours en marge des grands conflits.
J’ai aimé la diversité de ses aliens et l’idée d’un vaisseau qui navigue au long court dans le roman L’espace d’un an. Mais son roman qui m’a le plus enrichie est le troisième tome de cette série : archives de l’exode. Ce texte décrit une communauté humaine qui vit au sein de la flotte. D’anciens vaisseaux d’exode générationnel, reconvertis en station spatiale d’habitation. On y découvre une société humaine très cadrée par un mode de vie ultra-contraint, et qui forme pourtant une communauté forte basée sur le partage des ressources, l’économie, le recyclage, l’entraide. Une communauté qui ressemble un peu aux utopies que l’on trouve dans d’autres romans, et qui pourtant est moribonde, car abandonnée par les jeunes générations en quête de liberté.
Ce roman interroge les coutumes, le gap des générations, la perte des valeurs, mais aussi l’enfermement sur soi et le refus d’évoluer. Et j’ai beaucoup aimé les questions qu’il posait et les ébauches de réponses qu’il apportait.
La difficulté d’écrire des romans optimistes
Mais alors que je lis et tente d’écrire ce type de romans, je ne peux échapper à une question : comment mettre de la tension dans un récit sans conflit ? Comment faire trembler les lecteurices quand le contrat stipule que tout se passera bien et que nos personnages ne seront jamais en danger ? Bien sûr, il y a des nuances. Les personnages d’Ursula Le Guin et Becky Chambers peuvent mourir, même si c’est rare. Une absence de guerre ne signifie pas une absence de conflit ou d’enjeu. Une absence de conflit ne signifie d’ailleurs pas une absence de danger.
Et si je peux reprocher à certains romans de Becky Chambers un manque de tension, ou un manque d’approfondissement de certaines thématiques et des résolutions parfois trop faciles… je ne suis pas obligée de faire pareil. Mais il est vrai que ce genre n’aide pas. Je suis habituée aux personnages de guerriers, aux scènes de bataille, aux balles qui volent et aux héros qui jouent leur vie. J’aime ce type de scènes, ce type d’ambiances et d’enjeux. Cela ne veut pas dire que je ne peux pas, sur certains projets, tenter de faire autrement.
Mais ça reste difficile à déconstruire. Où est le frisson, dans un roman de cours sans empoisonneur, sans tentative d’assassinat et sans le risque que l’échec de la négociation ne se termine par l’envoi d’une armée ? C’est à moi de trouver une réponse à cette question qui corresponde à Belle du désert. Tout comme je dois trouver quoi faire de cet univers solar punk que j’ai dans un coin de la tête depuis longtemps, dans lequel je suis incapable de trouver quoi raconter. Quels enjeux pour mes personnages, quelles péripéties si l’utopie ne cache pas une dystopie ? Comment faire un roman tranche de vie qui soit vivant et qui accroche aux tripes ? Ou dois-je chercher à avoir justement un roman plus calme et plus posé qui ne soit pas là pour éviscérer virtuellement mes lecteurices ?
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