Voici un nouvel article de la série « célébrer nos intérêts spécifiques ». Ici, je réponds au prompt : « l’IS [intérêt spécifique] qui a le plus changé au fil de votre vie ».
L’idée, pour moi, est de parler d’un IS qui me suit depuis très longtemps, mais avec lequel mon rapport a changé au fur et à mesure des années. Parce que oui, on peut avoir un IS qui nous suit comme une obsession tout au long de notre vie, et qui sera une ancre, une bulle, un doudou et un fil rouge qui ne nous quittera jamais. Mais on peut aussi (et j’en ai parlé dans mon article sur l’Égypte ancienne) avoir un IS qui disparaît avec le temps ; parce que l’on change, que l’on grandit, ou pour des raisons traumatiques. Enfin, on peut avoir un IS qui grandit et change avec nous. C’était aussi un peu le cas de mon IS pour le Japon qui a beaucoup muté au fil des années, mais que j’avais présenté selon l’angle « l’IS qui a le plus de facettes/ramifications ».
Disclaimer : Bien sûr, pour suivre la thématique, toutes les photos de cet article ont été prises par mes soins.
Dans l’enfance : l’appareil photo de papa
Comme d’autres de mes IS, ma passion pour la photo me vient de mon père. Quand j’étais gamine, il possédait un vieux réflexe argentique, avec lequel il utilisait des pellicules « diapos ». Ainsi, il faisait développer ses photos sous la forme de diapositives, et régulièrement, il déroulait son grand écran blanc dans une pièce sombre, on choisissait une année comme on choisirait un grand cru, et il nous repassait nos photos de vacances.
Très vite, j’ai voulu « jouer » avec son appareil. Très vite, il m’a appris à déclencher avec parcimonie (les joies de l’argentique, les pellicules coûtent cher, on ne gâche pas !). Et il m’a bien entendu appris les réglages et leur utilité. Je ne sais même plus s’il existait un mode « automatique » sur son appareil, ou s’il fallait régler manuellement le temps d’exposition et la vitesse d’obturation. Bien sûr, les iso dépendaient de la pellicule utilisée et ne permettaient pas de compenser le reste. Et la mise au point se faisait également manuellement !
Je devais avoir une douzaine d’années quand j’ai reçu mon premier appareil photo à moi, un numérique compact. Rien à voir niveau réglage, bien sûr. Mais c’est là que j’ai commencé à m’intérresser à la composition (quel niveau de zoom, comment cadrer, comment utiliser les diagonales et la règle des tiers, comment avoir un horizon droit (sinon la mer va se vider XD), comment se mettre à hauteur pour éviter l’effet écrasant de la plongée). Pendant des années, j’ai fait des photos avec ce compact, puis avec un bridge (où il existe des modes manuels et semi-automatiques, mais un seul objectif fixé à l’appareil).
Un réflexe, une passion, un forum, une rupture…
Et puis, une année… j’ai découvert un forum internet. En effet, ce n’est pas par l’écriture que j’ai découvert les forums de « bêta », mais par la photo ! Sur ce forum : une douzaine de catégories qui allaient de l’abstrait, au portrait, à la macro, au nu… on postait une photo et les autres membres venaient la commenter. En toute bienveillance, des dizaines de personnes me félicitaient pour ma photo, m’expliquaient que j’aurais peut-être dû m’accroupir plus, ou me décaler sur la droite, qu’une ouverture plus petite m’aurait permis de créer naturellement un fond flouté (un bokeh) pour mettre en valeur mon sujet, que ma mise au point n’était pas centrée sur l’oeil de l’oiseau, ect…
C’est à cette époque de ma vie que la photo est devenue un « vrai » IS. La première chose que je faisais en allumant mon ordinateur était de consulter le forum, c’était aussi la dernière chose le soir. Je lisais absolument tous les posts sur mes sections favorites (paysage, animaux et bien sûr macro), je commentais un maximum de photos, je postais régulièrement, je participais aux concours mensuels et j’en ai même organisé un inédit : le « grand schelem » ou l’objectif était de soumettre, en un mois, une photo pour chaque catégorie du forum. Un concours dont le but était de sortir les motivés de leur zone de confort. J’ai fait ma première photo de nu pour ce concours, un auto-portrait pris avec trépied.
Et bien sûr, j’ai passé des semaines à étudier les différents modèles d’appareil photo reflex et les objectifs disponibles. À cette époque, j’étais capable d’indiquer que tel objectif de chez canon était plus stable et plus qualitatif que tel autre dont les caractéristiques étaient pourtant presque identiques. J’ai vite sauté le pas : j’ai acheté un canon 600D avec son objectif standard (ma belle-mère m’a d’ailleurs offert un vieux filtre macro qui allait dessus), puis un objectif à focale fixe pour le portrait, et enfin un téléobjectif. Je n’ai toujours pas d’objectif macro à proprement parler. Après quelques années à utiliser le filtre, je fais désormais la plupart de mes photos macro à l’aide du téléobjectif.
Et puis… et puis il y a eu une très très grosse engueulade sur le forum, le genre qui dégénère et qui provoque la scission. Les gens que j’admirais sont partis ou ont décidé de créer un nouveau forum ex-nihilo, mais le nouveau n’a jamais pris comme l’ancien. (Pour ceux qui ont suivi mon départ du forum d’écriture Coccyclics, oui, c’est une histoire très très similaire). Et… et je ne me retrouvais plus dans aucun forum : ni l’ancien, ni le nouveau. Je n’avais plus de « chez moi ». Alors… j’ai tout arrêté.
Ce jour-là, je n’ai pas juste quitté le forum de photographie. J’ai rangé l’appareil et il n’est plus sorti de son sac pendant plusieurs années. La rupture brutale avec les gens qui constituaient mon cercle de photographie m’a donné la sensation de m’être pris un mur. Je ne pouvais pas continuer sans eux. La photographie seule ne me suffisait pas. J’avais besoin de ce lien, de ce partage, de ces gens qui étaient devenus mes amis sans que je ne sache rien d’eux (à part que la Mule faisait les plus belles photos d’insecte que j’ai vu de ma vie et que plus tard je voulais être comme lui). Les perdre brutalement m’a fait perdre toute envie pour la photographie.
Et je crois que c’est une des fausses conceptions que l’on a sur l’autisme et les IS. Souvent, les médias nous montrent les intérêts spécifiques des autistes comme étant des passions égoïstes qui les isolent et les emprisonnent. Et oui, parfois, on a besoin de s’absorber seul dans un IS pour recréer notre bulle et nous protéger du monde. Mais parfois, voire souvent… un IS est un moyen de communication, une main tendue pour tenter d’approcher ce qui paraît si facile à d’autres : créer du lien. Et sans le lien, parfois l’IS s’écroule.
Une reprise à petits pas
Pendant des années, donc, je n’ai pas sorti l’appareil photo. Et puis… je ne sais pas. Je suppose que j’ai réalisé que ça me manquait ; qu’il y avait de vraies belles photos parmi celles qui dormaient dans mon ordi ; que c’était sans doute dommage d’avoir arrêté au moment où je commençais à faire quelque chose de bien. Alors, j’ai doucement ressorti l’appareil, quatre ou cinq fois par an.
La reprise s’est faite du bout des doigts, en me disant que la photographie me prenait du temps que j’aurais pu consacrer à l’écriture, que mon refus trop drastique du post-traitement me bloquait, que j’aimais les photos porteuses de sens sans savoir comment m’y prendre, que mes photos de paysages n’avaient finalement rien de spécial, et que faire des photos de fleurs allait finir par me faire tourner en rond.
Mais j’ai réapprivoisé la photographie, pas à pas. J’ai téléchargé et bidouillé un nouveau logiciel de post-traitement avec lequel j’ai un peu joué pour mes séries urbaines. J’ai cherché ce twist qui pouvait rendre les photos de paysages intéressantes, j’ai accepté et assumé d’être une photographe de fleurs et que je ne serais jamais une portraitiste ou une photographe de rue. Et maintenant… je refais des photos de fleurs et j’envisage de changer mon boîtier qui a plus de dix ans et commence à montrer des signes de faiblesse. Alors… l’histoire est loins d’être finie. Stay tuned pour de nouvelles aventures.