En lisant L’année suspendue de Mélanie Fazi, la sensation est étrange.
Il faut dire que je ressens un lien particulier avec cette autrice, que je n’ai pourtant fait que croiser en festival et dont je n’ai jamais lu les ouvrages de fiction. Mais j’ai lu son blog, ainsi que son premier essai Nous qui n’existons pas. Et surtout, j’ai vécu un parcours très similaire au sien, avec une temporalité très proche. À chaque témoignage paru sur son blog, je l’ai lu alors que j’avais effectué moi-même un parcours presque identique dans les mois précédents. À chaque fois, ils ont fait « tilt » avec une précision presque chirurgicale, mettant les mots d’une « personnalité publique » de mon milieu sur des identités auxquelles je m’identifiais à chaque fois depuis peu (j’en parle un peu ici). Cette fois encore, sans grande surprise car c’est presque devenu une habitude, je ressens une incroyable résonance.
En lisant L’année suspendue, je me suis surprise à m’y chercher avec une intensité un peu effrayante et… c’est exactement ce que j’y ai trouvé : moi-même. Beaucoup plus que les autres livres sur l’autisme écrits par des femmes concernées, celui-ci a matché.
J’avais cherché ça, déjà, en lisant La différence invisible, mais je ne m’y étais pas vraiment reconnue. Pas les mêmes difficultés, pas la même vie, pas les mêmes fonctionnements ou intérêts. Je crois que L’année suspendue m’apporte ce que je cherche depuis longtemps. Voilà : c’est ça « mon autisme ». Celui où je ne me dis pas au bout de quelques pages « Non, vraiment, je dois abuser en me pensant autiste. Parce que j’ai bien moins de difficultés sur ce point. ».
Je suis autiste. Cela fait maintenant plus d’un an que je le sais au plus profond de moi. Mais suis-je « assez autiste » ? Assez pour que ça vaille la peine de l’évoquer ? Assez pour chercher plus loin ? Assez pour « mériter » le terme ? Voilà plus d’un an que je me débats avec ces questions. Avec ce qu’une amie a appelé il y a peu « l’imposteur du diag ». Cette lecture l’éloigne un peu.
Pas assez. Car malgré toutes les similitudes, il reste les doutes. Cette fatigue que je ressens, tout le monde me dit qu’elle est normale, que tout le monde est fatigué en cette période de pandémie et de sortie d’hiver. Et quand elle s’efface quelques jours, il m’est facile de me dire que mon ressenti était exagéré. Est-ce que c’est vraiment cette fameuse fatigue « différente de celle des neurotypiques » ?
Une autre chose résonne immensément : la sensation que mes limites se rapprochent. Parce que j’ai cessé de les ignorer ou parce qu’elles le font naturellement avec l’âge ? Je l’ignore.
Cette fatigue et ces limites ne sont pas aussi intenses que celles décrites par Mélanie, mais j’ai la chance immense de n’avoir jamais fait de vrai burnout. Je m’en suis approché, deux fois. La seconde, j’ai eu la chance de comprendre ce qu’il m’arrivait et de parvenir à dire « stop », juste assez pour ne pas basculer complètement le temps que la surcharge de travail passe. J’ai vécu cette approche du burnout en ayant conscience de mes limites et de ce qui se profilait. J’ai la chance d’avoir presque dix ans d’avance sur Mélanie dans mes propres réflexions. Dix ans de fatigue, d’adaptation forcée, de masquage en moins. Est-ce que je suis celle qu’elle était il y a dix ans, la conscience de mon autisme en plus ?