En se baladant dans le festival des Utopiales, votre louve errante favorite est tombée en arrêt devant l’exposition principale réalisée par l’artiste Beb-Deum. Un fait rare, puisque je suis d’ordinaire assez imperméable aux arts graphiques. Mais là, j’ai immédiatement trouvé ces dessins malaisants, sans parvenir à mettre une explication immédiate sur ma sensation. Je vais donc vous faire un retour (loin d’être exhaustif) sur cette exposition et ce qu’elle m’a évoquée. Promis, je reviendrai sur le reste du festival dans l’article de jeudi prochain (le voilà !) ;).
D’un côté, cette galerie trouve parfaitement sa place au sein d’un festival dédié au corps. Des dessins caricaturaux, dérangeants, qui provoquent une sorte de fascination étrange et morbide. Beb-Deum offre ici une série de portraits au dessin numérique d’hommes et de femmes (mais surtout de femmes) mêlant diverses origines raciales associées à ce que j’appellerais, faute d’un meilleur terme, des « marqueurs raciaux ».
Sa volonté affichée d’offrir un regard critique sur notre société est pour moi parfaitement illustrée par ce tableau, exposé dans l’enceinte « public averti ». Ce dessin d’une femme nue, entourée de loups de cartoon dont les mains se baladent sur son corps sans consentement évident montre une vision à la fois érotisée et malsaine de l’attention masculine, et accomplit pour moi très bien son intention de choc. Il y évoque l’homme « agresseur sexuel » sous les traits d’un loup avide qui prend possession du corps de la femme. Laquelle ne répond pas aux attentions, mais ne semble pas non plus s’en défendre. Parce qu’elle est si habituée à être traitée en objet de désir et de plaisir qu’elle ne songe même pas à protester ?
Sur le reste de l’exposition, la femme blanche occidentale est généralement représentée âgée, le corps modifié par de la chirurgie et des implants technologiques à foison. La vision critique de la société évoquée par Beb-Deum y est notable, mettant en exergue la fascination des occidentaux pour la beauté et la jeunesse. L’implant bionique fait alors office pour nous, personne blanche, de « marqueur racial ». Un marqueur clairement malsain et exploité comme tel.
Ce qui pose la question des marqueurs utilisés pour les portraits des personnes racisées. Les femmes noires portent des bijoux volumineux et des scarifications, les femmes asiatiques des tatouages d’esthétique japonaise. Si le tout finit par se mêler de manière anarchique et perturbante et que l’oeuvre de Beb-Deum se veut « acide et critique », je n’ai cependant pas pu m’empêcher de m’interroger longuement sur son biais d’homme blanc.
Car ses choix artistiques m’ont mise mal à l’aise. Si les ethnies finissent par se mêler dans ses tableaux, les caractéristiques raciales dépeintes restent caricaturales.
Je ne me serais peut-être pas posé la question, il y a quelques années. Mais aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de voir dans ces images la vision d’un homme blanc. Si un artiste noir ou asiatique avait travaillé sur ce thème, aurait-il utilisé des bijoux volumineux et des scarifications comme « symbolique » de la personne noire et des tatouages pour la personne asiatique ? Ou est-ce notre vision de blanc qui nous fait associer ces éléments à ces cultures spécifiques ?
Plus important encore, n’est-il pas purement et simplement raciste de mettre en parallèle des pratiques culturelles et parfois traditionnelles et notre recherche effrénée de la beauté et de la jeunesse ? La question est ouverte et je serais ravie d’avoir votre opinion dessus.