Je suis actuellement en train de corriger la version réécrite de mon roman Habemus papam (ce qui en fait la V3). Et ça m’a donné envie de vous parler de ce que ça donne chez moi, une « correction » de roman. Il faut savoir que je me situe du côté très jardinier du spectre de l’écriture. C’est-à-dire que j’entame un projet sur une page blanche et que je me lance dans la première scène en ne sachant globalement pas de quoi je vais parler. En général, à ce stade, j’ai deux ou trois personnages vaguement clairs dans mon esprit (on va dire que je connais leurs traumas et le gros de leur caractérisation). J’ai une idée très vague de l’univers (SF ou médiéval). Et je connais l’élément déclencheur de l’intrigue (ce qui va foutre la merde). Parfois, si j’ai de la chance, j’ai une vague idée de comment je vais finir le roman.
Version 1 : le premier jet
En général, j’écris le premier jet d’une traite sans revenir en arrière. En pratique, il y a deux options : soit j’arrive à la fin, soit je bloque à 60-70% du texte. Quand c’est le cas, c’est souvent que j’ai un vrai gros problème de structure. Soit il me manque un point de vue indispensable, soit mon antagoniste ne sert à rien parce que j’ai oublié de lui demander ce qu’il voulait et pourquoi, soit j’ai un problème d’ordre des évènements. Bref, je me suis perdue.
Parfois, c’est quelque chose que je peux résoudre en ajoutant une ou deux scènes, ou en prenant des notes sur le début. Mais souvent, je sais que si je persiste, la fin ne rimera à rien. Parce que j’aurais des corrections si importantes sur le début du texte que toute la suite en sera profondément modifiée. Dans ces cas-là, je considère que mon premier jet est caduc, et j’attaque la version 2 (même si je n’ai pas terminé la 1).
Version 2 : la réécriture
Je crois qu’il n’y a qu’un seul roman, dans ma vie, que je n’ai pas réécrit pratiquement en totalité pendant la V2 : Prison Putsch. Mais je crois que ce roman est mon exception à beaucoup de choses. Il m’est venu comme une fulgurance, il tenait très bien debout dès le début, et il n’a pas été assez retravaillé avant publication. Je l’aime de tout mon cœur, et que je pense sincèrement que c’est pour l’instant mon meilleur, mais je pense quand même que nous aurions pu le pousser plus.
Pour le reste de mes textes, V2 rime avec réécriture intégrale. À la fin de la V1, je tiens :
- mes protagonistes,
- une vague silhouette en forme d’antagoniste,
- les grands principes de l’univers,
- un semblant d’histoire qui va parfois quelque part.
Avec la version 2, je vais enfin m’occuper de l’antagoniste et des personnages secondaires. Apprendre à les connaître, comprendre ce qu’ils veulent, comment ils agissent. Bref, je vais découvrir leur personnalité, comme je l’ai fait pour les protagonistes dans la V1. Je vais aussi clarifier les règles de l’univers, mettre le doigt sur les incohérences, les flous, les éléments que j’ai survolés, le niveau technologique de mon monde, etc.
Avec un meilleur positionnement des antagonistes et personnages secondaires, je vais pouvoir affiner l’histoire. Tout ça pourrait n’être que de la « grosse correction ». Mais en réalité, j’apprends à connaître l’univers et les protagonistes au fil de l’écriture du premier jet. Ce qui fait qu’il est très inégal, entre le début et la fin. Souvent, les réactions des personnages ne matchent plus, et s’ils changent leur façon d’agir, ils changent les scènes suivantes, puis celles d’après… Ce qui fait qu’il est finalement plus efficace de tout reprendre à zéro. Je me garde souvent la version précédente à côté de moi pendant que je réécris, mais il est exceptionnel qu’une scène puisse être réutilisée, et le « plan de correction » finit souvent aux oubliettes dès le chapitre 2.
Version 3 : la correction
Si tout se passe bien, à la fin de la version 2, j’ai une histoire qui tient la route. Les personnages et leurs réactions sont globalement OK. L’univers se tient même s’il est encore assez peu exploité (j’ai du mal avec les descriptions). Et j’ai un truc qui ressemble vaguement à une histoire, même si je n’écrirai jamais de polar parce que je suis quand même fondamentalement nulle en intrigue.
Du coup, que me reste-t-il à revoir en V3 ? Tout d’abord : le début ! C’est la partie la plus difficile, et la plus importante. C’est là que les réactions des personnages ne sont pas encore parfaites, qu’ils manquent de contact humain, qu’ils vivent dans un lieu sombre et sans vie. Donc, la version 3 va me servir à quatre choses :
- Ajouter des descriptions pour rendre l’univers vivant
- Densifier la liste des persos tertiaires et figurants
- Corriger les incohérences
- Travailler et affiner le style
Et normalement… je suis bon à ce stade pour envoyer le roman en Bêta-lecture, histoire de vérifier que tout colle. La BL n’a pas toujours lieu ici, sur mes premiers romans elle venait plus tôt, quand je ne savais pas voir les problèmes et trouver comment corriger seule. Parfois, elle vient après la V2 si celle-ci est assez bonne.
Version 4, 5, 6 et plus
Une fois le roman revenu de bêta-lecture, je le corrige une nouvelle fois. Puis je le relis, affine le style et le passe au correcteur d’orthographe. En général, c’est cette version qui est envoyée en soumission éditoriale.
Et si le roman est accepté… hé bien il y a encore une correction de fond avec les éditeurs, puis une correction de forme et ortho-typo, puis la relecture finale. Dans le meilleur des cas, nous sommes donc à environ 7 passages sur le texte, du premier jet à la validation du bon à tirer. Et parfois, c’est 8 ou 10, parfois encore plus.
Je crois que la conclusion de tout ça, c’est la phrase favorite de Karine Rennberg : « Tu verras en Vx+1 » (pour ceux qui n’aiment pas les maths : x = la version en cours, donc x+1 = la prochaine version).