Alors non, je ne vais pas me mettre à construire des maisons (même si j’ai fait un super plan de palais royal (qui ne ressemble à rien) cette semaine). Pour commencer, qu’est-ce qu’un écrivain architecte?
Jardinier ou architecte, qu’est-ce que c’est ?
Il est courant de séparer les écrivains en deux catégories. Il y a d’un côté les jardiniers (ou « scriptural » en anglais) et de l’autre les architectes (ou « structural »). Comme dans toute délimitation stricte, celle-ci est bien entendu un peu caricaturale et ne peut guère s’appliquer telle quelle. En réalité, la majorité des écrivains que je connais où que j’ai vu en conférence se situeront quelque part entre ces deux curseurs. On va dire que ce sont des paysagistes !
L’écrivain architecte est celui qui prépare tout son roman avant d’en écrire la moindre ligne. Cela signifie des recherches documentaires, bien entendu, mais également des plans, des fiches personnages, des annexes, un synopsis de travail et parfois même un plan détaillé du roman. L’architecte écrira donc son texte en suivant une trame pré-établie à la scène près, et n’en déviera sous aucun prétexte. Ou alors, s’il ressent le besoin de modifier l’histoire en cours de route, il commencera par refaire son synopsis, son plan, etc…
En ce qui me concerne, c’est un modèle dans lequel je ne me reconnais absolument pas. D’ailleurs, j’ai commencé à écrire en étant presque pure jardinière. Dans mon cas, cela signifiait avoir trois personnages à peu près bien caractérisés, une situation de départ, quatre ou cinq idées de scènes clefs et une situation de fin. Tout le reste s’écrivait au fur et à mesure. Les écrivains jardinier ont tendance à dire que ce sont les personnages qui écrivent l’histoire et il n’est pas rare qu’ils débutent un texte sans savoir comment celui-ci va se terminer, ou que les personnages prennent un chemin de traverse en cours de route et les emmènent finalement très loin de l’endroit prévu.
La méthode d’écriture, un choix ?
Pourquoi choisir d’être architecte ou jardinier ? En réalité, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un choix. Je pourrais dire que l’on est jardinier parce que l’on aime pas le travail préparatoire, que l’on a besoin d’être surpris par sa propre histoire pour ne pas s’ennuyer ou parce qu’on a la flemme (tout simplement) de préparer tout ça à l’avance alors qu’on estime ne pas en avoir besoin. Et il y a sans doute un peu de tout ça.
Cependant, alors que ma méthode d’écriture évolue, je me rends compte aujourd’hui que même si je le voulais, je serais bien incapable d’être véritablement architecte. Tout simplement parce que j’ai besoin d’écrire pour apprendre à connaître mes personnages.
Alors que j’ai de plus en plus tendance à préparer mes textes avant de les commencer, je sais qu’il m’est impossible d’aller plus loin qu’un très vague synopsis d’intrigue. Tout simplement parce que je suis incapable de prévoir la réaction de mes personnages à un évènement tant que je ne les y ai pas confrontés. Certains diront qu’ils ne voient pas le problème, puisque c’est moi l’auteur. A moi donc de décider de la manière d’agir de mes héros. Sauf que… non. J’attache beaucoup d’importance à la crédibilité de mes personnages. Et pour cela, j’ai besoin de les connaître, de les comprendre et de les apprivoiser.
Les architectes vont faire tout cela au moment de la rédaction des fiches personnages, moi je ne peux pas. J’ai besoin de les confronter à la vie, de trouver leur voix au fil de leurs actions et réactions. C’est pourquoi, lorsque je suis dans les premiers chapitres, je suis généralement incapable de prévoir la manière dont ils vont se comporter quinze chapitres plus loin. J’ai besoin de l’écrire pour le découvrir.
Il me semble d’ailleurs que la méthode d’écriture est bien souvent liée aux affinités et priorités de l’écrivain. En effet, les jardinier favoriseront en général leurs personnages, ce qui se traduit souvent par une faiblesse relative de l’intrigue. Alors qu’un auteur qui place l’intrigue au centre, comme on peut le voir dans les thrillers ou les romans d’espionnage ou de complots, aura plutôt tendance à avoir une approche d’architecte. Cela se comprends plutôt bien quand on voit la complexité de certaines intrigues (quand même en lisant j’ai du mal à suivre, je ne m’imagine pas les écrire).
Est-ce à dire qu’il n’est pas possible de travailler à la fois personnages et intrigue ? Je pense qu’il est nécessaire, pour avoir un bon roman, d’accorder de l’importance aux deux. Cependant, il est difficile et à mon avis pas forcément souhaitable, de les équilibrer parfaitement. C’est aussi cela qui fait la touche personnelle de chaque auteur et le plaisir des lecteurs. Devenir « paysagiste » est alors, à mon avis, la découverte d’une certaine forme d’équilibre qui sera propre à chaque auteur.
Alors qu’est-ce que ça signifie : devenir paysagiste ?
J’évoquais dans mon dernier article les difficultés que je rencontrais dans la correction de mon premier roman à cause des nombreuses incohérences de fond qu’ont soulevées les bêta-lectures. J’ai donc pris conscience que je ne pouvais pas me permettre de rester une pure jardinière. Si mes personnages comme mon univers se construisent et s’affinent au fil de la plume, j’ai tout de même besoin d’un minimum de préparation.
En effet, pour mes trois derniers projets, je les ai débutés en jardinière. Cependant, je me suis vite rendu-compte que j’allais droit dans le mur. Ceci c’est soldé à chaque fois par une énorme remise en question vers les 100 ksec (soit environ 1/5 du texte entier).
Un blocage qui s’est soldé par un arrêt de l’écriture le temps de résoudre les problèmes de cohérence, d’intrigue et d’univers que je sentais pointer peu à peu. Les personnages se sont enrichis, l’univers s’est affiné, l’intrigue a été retravaillée, parfois en partie synopsisée et le début des textes a été repris pour être modifié. L’un de mes textes est d’ailleurs resté à ce stade, car il nécessitait des changements si importants que je ne me sentais pas capable de les mener à bien à ce moment-là.
Me rendre compte que ce schéma se reproduisait à chaque nouveau roman m’a obligé à remettre en question mon travail préparatoire et ma méthode d’écriture. Ainsi, quand Muse s’est de nouveau manifestée, j’ai décidé de prendre mon temps et de préparer ce projet comme il le méritait, dans l’espoir de ne pas revivre ce fameux blocage des 100 ksec.
Je dois avouer que cette résolution a été favorisée par les circonstances. Je suis actuellement en pleine réécriture de mon premier roman. Après 8 mois de travail, je n’en suis encore qu’aux deux-tiers. Et le besoin de partir sur une nouvelle histoire commence à se faire très sérieusement sentir. La préparation de mon prochain texte est donc apparue comme un compromis passé avec Muse. Je l’autorise à se plonger en douceur dans ce texte, à condition qu’elle poursuive les corrections en parallèle.
Je me retrouve donc à ce jour avec plusieurs pages de notes sur les cultures touareg et égyptiennes, les paysages et la météo du Sahara, la lithothérapie (la médecine par les cristaux), avec des fiches personnages, un plan du palais où se déroule la majorité de l’histoire et même synopsis de l’intrigue… et un titre accessoirement. Je poursuis actuellement la rédaction des fiches personnages avant d’entamer celle des fiches lieux (sinon je me connais, je vais encore shunter les descriptions et avoir des pièces qui changent de place à la Poudlard).
J’espère, par cette méthode un peu nouvelle pour moi, parvenir à écrire dès le premier jet un texte qui tienne la route. Cela ne signifie pas que je n’aurais pas besoin de corriger mes romans, les corrections restent une étape indispensable pour tout auteur. Cependant, si je pouvais éviter de passer deux ans à corriger un roman écrit en quatre mois, j’avoue que j’apprécierais.
Au final, tous les écrivains expérimentés ne sont-ils pas paysagistes ?
Difficile à dire. Pour avoir assisté à plusieurs conférences d’écrivains professionnels, il est courant de se définir soit comme architecte, soit comme jardinier. Certains rédigeront toute leur vie des plans de textes détaillés à la scène près avant d’entamer la moindre rédaction. D’autres continueront à se lancer dans des histoires dont ils ne connaissent pas la fin. Mais pour fréquenter un certain nombre d’auteurs débutants, j’ai pu constater que les premières années voyaient souvent des remises en question et des adaptations des méthodes de travail.
Pour autant, chacun d’entre nous conserve une affinité générale pour une méthode d’écriture et je ne crois qu’il soit vraiment possible de passer de l’un à l’autre. Même si l’expérience nous apprends à se détacher des extrêmes pour venir placer nos curseurs entre ces deux pôles.
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Ah Ah! je me retrouve complètement dans ton article, je suis une jardinière qui commence à poser des treillages de partout pour éviter que les plantes s’échappent dans un chaos incontrôlable! ^^
C’est exactement ça ! Merci pour l’image 😉