Il est fréquent, pour les auteurs en herbe, d’entendre en conseil l’injonction anglaise « Show, don’t tell ! ». Mais qu’est-ce que le « show » ? Et en quoi faire du « tell » est-il néfaste à votre roman ? Dans cet article de Griffes et Crocs, je vais m’essayer à la narratologie, ou l’art de travailler son style pour rendre son écriture la plus fluide et immersive possible pour le lecteur.
Ces notions, je les ai découvertes en faisant relire mes premiers textes à des auteurs plus expérimentés. Car oui, quand j’ai commencé à écrire, tous mes romans étaient horriblement « tell ». Et si je ne m’en rendais pas compte au début, je suis maintenant capable de reconnaitre ce travers, même dans mes propres écrits (le corriger, c’est encore parfois une autre histoire !). Je vais donc tenter de vous expliquer ce que sont le « tell » et le « show » et en quoi cette distinction est importante.
L’expression anglaise « Show, don’t tell. » signifie « Ne raconte pas, montre. ». Un conseil que l’on retrouve fréquemment dans l’écriture romanesque, notamment car un des défauts classiques des auteurs débutants est de trop « raconter » leur texte. Or, si le « tell » est parfois indispensable à la concision, il nuit énormément à l’immersion du lecteur. Un récit en « tell », c’est un récit qui expose et résume. Là où un récit en « show » montre, confronte le lecteur aux actions, pensées et ressentis des personnages… et le laisse en tirer ses propres conclusions. Votre personnage est en colère ? Ne le dite pas, montrez-le ! Et surtout, donner envie au lecteur d’être en colère avec lui !
Petit exemple :
Tell
« Roland était très en colère. Non seulement ses supérieurs l’avaient surpris au lit avec son lieutenant, mais ils en avaient profité pour le chasser des rangs. Le plus injuste, c’était qu’Émeric ne serait pas inquiété outre-mesure. Parce qu’on ne mettait pas à pied un gradé à la famille fortunée. »
Show
« Roland enfourna ses chemises roulées en boule dans le petit sac qu’on l’autorisait à emporter. Foutue armée, foutue morale et foutue libido qui l’avait poussée à rejoindre son lieutenant à la nuit tombée ! Bien sûr, il avait fallu que le commandant leur tombe dessus ! Et bien sûr c’était lui, le troufion tout juste bon à grossir les rangs, qui se retrouvait mis à pied ! Ça, sûr qu’Émeric était à l’abri, vu le pognon que se cognait sa famille. »
Explication
Ici, je vous offre un exemple fictif écrit à la fois avec les travers connus du « tell » (une situation expliquée, beaucoup de verbe « être » et d’adverbes) et dans un style qui s’efforce de respecter le « show » (une situation mise en scène, une plongée dans les pensées directes du personnage, une ponctuation qui marque les émotions). Vous noterez que les informations fondamentales données au lecteur sont rigoureusement identiques. Pourtant, si on sait dans ces deux passages ce qu’il s’est passé, il n’y a que dans le second que l’on sait ce qu’il se passe en temps réel : Roland prépare son sac. Sa colère n’est ni dite, ni expliquée. Elle est montrée à travers la brutalité de ses gestes, ses pensées incisives et ses jurons. Le second passage donne donc plus d’informations… sans en avoir l’air ! Car il nous expose en plus le caractère de Roland de manière visuelle et immersive.
Il est facile de se laisser aller au « tell ». Peut-être encore plus dans un univers inventé de fantasy ou de science-fiction qui a souvent été longuement et mûrement réfléchi par l’auteur. Parce qu’il est alors tentant d’expliquer au lecteur toutes les subtilités de ce monde qui nous tient tellement à cœur. Mais s’il est parfois indispensable de faire passer quelques notions fondamentales, le lecteur se sentira bien plus impliqué s’il comprend ces notions seul au travers de sa lecture plutôt que de se les faire exposer comme on le ferait d’un cours magistral.
Vous voulez que le lecteur sache à quel point la technologie d’armement de votre vaisseau spatial est complexe et puissante ? Mettez-la en scène au cours d’une bataille épique pendant laquelle le lecteur craindra pour la vie des personnages, et montrez qu’ils ne doivent la victoire qu’à cet armement. Le lecteur en tirera les mêmes conclusions, mais il aura vécu une bataille spatiale, et non assisté à un cours de mécanique.
L’important, c’est de faire confiance à votre lecteur pour combler lui-même les trous laissés dans votre récit. Et s’il passe à côté d’un ou deux détails sur le cycle de reproduction de votre race extraterrestre ou sur la frise chronologique de l’évolution des dragons… tant pis ? Un lecteur de roman n’est pas là pour collecter des informations, il lit pour se faire plaisir, pour se faire peur, pour frisonner, pour aimer. En bref, il lit pour ressentir des émotions. C’est pourquoi l’impliquer émotionnellement dans votre roman sera toujours plus important que de lui expliquer votre monde ou votre histoire. Et pour que ça fonctionne, il doit avoir la sensation d’être « présent ». C’est cela, avoir une écriture immersive.
Bien entendu, vous ne pouvez pas mettre en scène chaque seconde de la vie de votre héros. Aucun roman n’est constitué à 100% de « show », ou les ellipses seraient impossibles, vous suivriez vos personnages jusqu’aux toilettes et l’histoire avancerait à une allure d’escargot. Mais le « tell » a la fâcheuse tendance à être ennuyeuse pour le lecteur, parce qu’il lui apporte une information sans lui apporter d’émotion. Personnellement, au delà de 20% de tell, vous êtes certains de me faire jeter le bouquin sans jamais le terminer. L’idéal étant que ce « tell nécessaire » soit disséminé par petites touches lui permettant de passer le plus inaperçu possible. Du « tell », oui. Mais avec modération !
Histoire de ne pas déblatérer pendant trop longtemps, je reviendrais plus tard vous donner quelques techniques permettant de traquer le « tell » involontaire et le transformer en « show ». En attendant, lorsque vous relisez vos écrits, essayez de vous poser cette question : « Est-ce que cette information est mise en scène ? »
J’aime beaucoup ton petit exemple, c’est très « show » justement de le montrer au lieu de simplement expliquer la différence entre show et tell – bravo 🙂
En tout cas je suis d’accord avec toi que de repérer le tell est une chose, réussir à le corriger de manière réussie en est une autre. Mais c’est déjà un bon début !
On y arrivera un jour !