Parmi les thèmes destinés à célébrer nos intérêts spécifiques (IS), l’essai* dont est tirée cette série d’articles évoque celui des collections. Et il est vrai que beaucoup d’autistes ont tendance à s’entourer d’objets – tels des dragons dormant au milieu de leurs trésors -, à les chercher, à les collecter et à les accumuler. En particulier lorsqu’ils se rapportent à leurs IS. Alors, j’ai décidé de parler ici de mon rapport particulier à l’acte de collectionner.

Autiste ou TDAH, pourquoi choisir ?
Tout d’abord, sachez que j’ai eu beaucoup de mal à organiser cet article et qu’il est sans doute encore particulièrement foutraque. Comme l’a toujours été mon rapport aux collections (et mes collections en elles-mêmes), mes idées sur le sujet sont éclatées, parcellaires, mouvantes et aussi lacunaires que mes souvenirs. Mais je crois que mon rapport à la collectionnite est un des endroits où l’on voit le plus l’impact de ces deux neuroatypies : l’autisme et le TDAH.
Tout d’abord, il y avait le côté dragon dans sa grotte. Comme beaucoup d’autistes, je crois que je ressentais très fortement ce besoin d’avoir un lieu personnel et sécurisant. Et quoi de plus sécurisant que d’être entouré d’objets que l’on aime, qui nous appartiennent et ne disparaîtront pas, et que l’on peut organiser comme on le souhaite ? Je pense qu’il y a un lien avec l’unmasking** dont parle l’essai. Seule dans ma chambre : je n’avais pas besoin de performer une quelconque normalité ou compétence sociale. Et ma chambre était le reflet de cette liberté d’être moi-même : mes cabanes, mes peluches, mes livres et mes trésors. J’étais entourée d’objets que j’avais choisi, mais surtout : que j’avais choisi sans pression !
Car, nous sommes tous obligés d’acheter des vêtements, un sac de cours, des stylos. Même lorsque nous avons le droit de les choisir (et c’est déjà une grande liberté), ces achats peuvent représenter une pression. Il y a toujours un âge où l’on finit par réaliser que ces objets vont nous servir à interagir avec le monde et déterminer la vision que les autres auront de nous. Quelque chose est attendu de nous sur ce sujet-là : que ce soit une forme de normalité que l’on ne comprend pas toujours, ou une manière d’exprimer une individualité que l’on ne sait pas comment assumer. Les collections dans ma chambre, elles n’étaient que pour moi. Elles étaient entièrement libres de toute pression et de toute demande. C’était mon jardin secret. Elles étaient à la vue, mais elles n’intéressaient pas particulièrement le reste du monde et c’était parfait comme ça.
Mais dans ce comportement de collection assez typiquement identifié comme autistique, j’avais un côté très très TDAH. Parce que des collections, j’en avais plein ! Et aucune n’était particulièrement fournie ou suivie. À une époque, je ressentais même une forme de mini-fierté à affirmer que je collectionnais les collections ! J’ai eu des flacons et des miniatures de parfum, des figurines de chats, des timbres, des pièces, des pogs, des coquillages, des cailloux, des billes de cartouches, des stylos… je vivais aussi entourée de livres et de peluches sans vraiment les identifier comme des collections. Bref, ça partait dans tous les sens et ça ne ressemblait pas à grand-chose !

Il y a un exemple un peu particulier qui me vient en tête : les coquillages.
Lorsque j’étais enfant, nous allions beaucoup marcher sur la plage. Et si faire des châteaux de sable et jouer au frisbee dans l’eau sont des activités relativement stimulantes, « marcher » l’est quand même beaucoup moins. C’est sans doute pour ça que je me suis mise à collectionner les coquillages. Chercher partout pour ramasser les plus jolis, les plus colorés, les moins abîmés et les plus originaux donnait un focus à nos promenades sur le sable. C’est une activité de pie qui se jette sur ce qui brille, parfait pour une TDAH. J’adorais les ramasser, les nettoyer et les ranger avec soin dans des boîtes. Mais… je ne les ai jamais exposés. Peut-être que mes parents avaient refusé de m’acheter l’immense verrière nécessaire pour disposer tous ces trucs. Mais je me souviens que j’avais aussi un problème majeur : je ne savais pas du tout comment les classer. Par forme ? Par couleur ? Par lieu de ramassage ? Bref, cette collection était totalement bordélique. Et si mon côté TDAH adorait ramasser les coquillages, mon côté autiste se faisait des noeuds au cerveau sur la manière de les gérer ensuite.

Les liens entre collections et intérêts spécifiques
Je crois que ma seule collection d’enfance qui correspondait vraiment à un IS était ma collection de pogs. Je n’ai pas collectionné les figurines de loup, d’Égypte ou de reptiles. J’en avais quelques-unes, en déco. Mais je ne cherchais pas à les accumuler. Peut-être avais-je conscience, déjà à l’époque, qu’une collection dans laquelle j’aurais été vraiment investie aurait été un gouffre sans fin à la fois temporel et financier.

Les pogs étaient différents. J’en ai acheté quelques paquets, mais j’ai obtenu la majorité dans des boîtes de gâteaux et en gagnant des parties à l’école. Une part de moi était d’ailleurs très fière de voir que ma collection s’agrandissait en partie parce que j’étais douée. En achetant peut-être 20 ou 30 pogs dans ma vie, je crois que j’ai fini avec presque 200. Mais l’IS était pour moi autant dans le jeu que dans l’objet et son accumulation. Je connaissais le nom des coups, je savais quel kini était plus adapté à quel terrain et je m’entraînais à la maison. Ça a été un IS complet qui m’a duré un bon bout de temps (au moins tant qu’a duré la mode dans les cours de récré).

J’ai eu d’autres collections un peu traditionnelles. Notamment, mon père m’avait confié sa collection de timbres. Mais la vérité, c’est que les timbres, les pays et les voyages n’ont jamais été un intérêt spécifique pour moi. Je n’ai pas accroché, pas plus que je n’ai accroché à la collection de médailles lors des visites culturelles ou à celle des pièces de monnaie malgré le passage à l’euro et l’effusion de la première année qui consistait à chercher les pièces des différents pays d’Europe. Je n’avais ni la passion, ni la patience pour vraiment compléter sérieusement ces collections-là. Parce qu’elles ne correspondaient pas à mes intérêts spécifiques persos.
Des jeux basés sur la collection
Et il y a, par moment, des jeux qui en appellent à ma collectionnite. Je crois que je n’ai pas besoin de citer pokemon. C’est sans doute le jeu vidéo auquel j’ai le plus accroché dans ma vie. Le seul dont j’ai terminé la quête principale et que j’ai continué ensuite, et dont j’ai même tenté des versions ultérieures (dont pokemon go, jusqu’à ce qu’un bug me fasse perdre toutes mes avancées).
Aujourd’hui encore, j’ai un jeu sur mon téléphone dont le seul but est de collectionner. Il s’appelle Travel town et c’est un pur jeu de merging (un jeu où on met 2 objets identiques ensemble pour en créer un autre de « niveau supérieur »). J’y joue depuis des années, je suis niveau 82, j’ai cumulé des centaines d’objets et j’y reviens toujours.

Et je suis récemment tombée dans un autre jeu. Cette fois, c’est le genre de collection que j’appelle de l’accumulation pure. Comme je gardais les billes de cartouche au collège pour la pure satisfaction de cumuler de petites billes toutes identiques, je suis tombée sur un jeu qui me permet de collectionner… des trombones virtuels. Par chance, mon cerveau a décidé qu’il était plus intéressant et urgent de tenter d’apprendre le japonais pour la 7ème fois, ce qui m’a sauvé de ma courte addiction. Ce jeu ? Universal paperclip. L’objectif ? Fabriquer des trombones. Le plus de trombones possibles, jusqu’à détruire l’humanité, la terre et l’univers.
D’un côté, c’est absolument ridicule. L’interface est d’un basique absolu. Le gameplay consiste à cliquer sur des boutons (il y en a maximum 15 sur l’écran) pour fabriquer des trucs, jusqu’à ce que les trucs commencent à s’autofabriquer de plus en plus vite. De l’autre, le concept du jeu et le message lié aux Intelligences artificielles qui se cache derrière est incroyablement bien pensé (il y a cette très chouette vidéo sur le sujet, attention elle est très anxiogène !!). Et vu le nombre d’échanges sur internet au sujet des stratégies qui permettent de finir le jeu en un temps record, je ne suis pas la seule à y être tombée et à avoir tenté d’optimiser ma partie en la recommençant plusieurs fois. Heureusement, c’est assez court (le jeu se fait en 8-10 heures sans trop de mal, en 4 ou 5 quand on a compris le principe et en moins de 2h30 pour les warriors).
Bref, la pure collectionnite d’accumulation fonctionne encore très bien sur moi : la preuve par trombones virtuels. Et sans doute pas seulement sur moi, vu le nombre de jeux développés à partir de ce concept.
Collections VS minimalisme
Aujourd’hui, une de mes valeurs s’oppose assez largement à mes désirs de collection : le minimalisme. Sans être une adepte absolue de la pratique, j’apprécie énormément les esthétiques japonaises traditionnelles et je suis fondamentalement convaincue par l’aspect écologique et anti-capitaliste de limiter le nombre d’objets en notre possession (et surtout le nombre d’achat neuf). Cela ne m’empêche pas de décorer mon appart et de craquer sur des bibelots, mais j’essaye de choisir et d’éviter au maximum les achats impulsifs. Je limite l’achat de souvenirs de vacances ou je choisis au maximum des choses qui me serviront (papeterie ou mugs).

Et en parlant de mugs… je crois que l’on peut considérer que c’est LA collection que je fais en tant qu’adulte ! Et même là, chaque pièce doit être choisie avec soin, parce que la place dans mon placard et sur mes étagères n’est pas infinie (en plus, il y en a qui ne sont pas à moi…). C’est l’objet que je continue à accumuler un peu partout dans mon appartement, dont je me sers au quotidien, et que je prends plaisir à acheter de temps en temps, même si je sais que je n’en ai pas besoin. Un jour, je me débarrasserais des vieux mugs qui ne me plaisent plus pour faire de la place, peut-être. Pour le moment, ça rentre encore !

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* Unmasking autism par Devon Price.
**Unmasking = retirer le masque social qui nous interdit de nous comporter librement et spontanément en public. Ce masque est d’autant plus présent lorsque l’on appartient à une minorité et que l’on tente de s’intégrer (donc, quand on est autiste, et encore plus quand on l’est sans en avoir conscience).