Il y a quelques années, j’ai fait ma crise d’adolescence avec beaucoup de retard et je suis sortie de la naïveté de l’enfance. Ça s’est clairement beaucoup passé sur les réseaux sociaux, notamment twitter à l’époque où ce n’était pas encore trop toxique. Depuis cette époque où je suis passée assez radicalement à gauche, je me pose la question du militantisme. Ou plutôt, de pourquoi je n’arrive pas à être militante. Ce ne sont pas les valeurs qui me manquent, ni la conscience de tout ce qui ne va pas, de tout ce qui s’aggrave ou se casse la gueule. Et je reste une optimiste dans l’âme, je veux encore croire que tout n’est pas perdu et que nous pouvons encore nous réveiller, nous unir, convaincre assez de gens pour agir vraiment collectivement contre l’extrême droite, les intolérances, le consumérisme et le changement climatique.
Alors, pourquoi je ne milite pas ?
Le militantisme réseau et l’impuissance…
Durant mes premières années, ma manière de militer s’est limitée à faire de la veille sur les réseaux sociaux et à partager les propos et les gens avec lesquels j’étais d’accord. Sur mon mur twitter se croisaient allègrement du militantisme LGBT, handi, anti-raciste, anti-capitaliste, des éléments plus ciblés sur le métier d’auteurice et plus tard des informations sur le covid et l’autodéfense sanitaire. C’était vaste, vague et fouilli. Je ne savais pas où j’allais. Je ne savais pas comment y aller. Je voulais lutter pour tout à la fois sans avoir la moindre idée de comment faire. Alors je partageais un peu tout et ça me mettait mal à l’aise parce que j’avais l’impression de ne pas avoir ma propre voix et ma propre opinion. J’étais un perroquet qui ne savait pas comment construire ses propres phrases.
Aujourd’hui, je réalise que le principal obstacle au fait de porter ma propre parole était mon champ d’action trop vaste. Je ne pouvais pas être informée et pertinente partout. L’idée de réunir sur mon compte des paroles de « spécialistes » pour montrer que l’on peut avancer sur tous les fronts à la fois, et que l’on peut refuser de laisser des gens derrière soi, n’était probablement pas mauvaise. J’aurais pu me concentrer sur ça et tenter de construire ma parole autour d’une idée de globalité, d’intersectionalité et de croisement des luttes. Mais à cette époque, je n’avais pas encore réussi à conscientiser et construire cette idée-là.
De plus, j’ai aujourd’hui conscience d’être une très mauvaise communicante. J’ai échoué sur twitter parce que je ne savais pas où aller, mais la réalité c’est que je n’ai jamais réussi à me créer une communauté où que ce soit et quoique je fasse. J’ai plus de dix ans de blogging, d’abord littéraire avec écriture et chroniques, puis plus vaste pour intégrer des questions d’identité et de développement personnel. J’ai suivi l’idée qu’être authentique m’aiderait à la fois à garder la flamme et à me trouver une communauté. J’ai passé dix ans à suivre les réseaux à la mode (facebook, puis twitter, puis insta, puis masto, puis cara, puis bluesky….) et à tenter d’y faire mon trou en gardant cette authenticité, tout en suivant les codes principaux du réseau en question. J’écris une newsletter plus personnelle et ciblée depuis plusieurs années. J’ai désormais un podcast d’écriture sur une thématique précise et pointue. Rien ne marche. Je n’ai jamais réussi à me forger une communauté un tant soit peu solide ou nombreuse. J’ai depuis longtemps cette sensation que je vivote sur les internet avec vingt personnes qui me suivent, dont la moitié parce que c’est des potes. Et clairement, mes chiffres de diffusion ne démentent pas mon manque de succès. Je parlerais un peu plus précisément de tout ça dans ma newsletter de ce mois-ci. (Abonnez-vous, ça va être intéressant ! (Vous voyez, j’essaye encore.))
Au final, est-ce que ça avait le moindre sens de partager une parole intéressante et percutante, si la personne à l’origine du message avait plusieurs milliers de followers et que moi j’en avais 70 ? Bref, je me suis essayée au militantisme réseau ; mais je n’ai à peu près jamais servi à rien et j’en avais conscience.
Le militantisme physique et la peur.
Puis est venue la question du militantisme physique. J’ai beaucoup de barrières à ce sujet, notamment de par mon entourage proche qui a peur de ça. Je me suis aussi beaucoup trouvée d’excuses : faire grève alors que la petite entreprise dans laquelle je travaillais n’était pas concernée ? Alors que les personnes que ça impacterait le plus, ce serait mes collègues ? Aller marcher dans les rues avec des inconnus, juste comme ça ? Et comment savoir où et quand avaient lieu les marches ? Comment aller manifester alors que je n’avais pas creusé la question, ses enjeux et ses revendications ? Alors que les manifestations et les évènements étaient instrumentalisés par des groupes puissants en lesquels je n’avais aucune confiance ? Alors que la situation n’était encore pas si grave ?
Aujourd’hui, je sais qu’il y a des gens avec qui je pourrais manifester, des gens qui seraient capables de me dire où, quand et comment. Je sais aussi qu’à force de trouver que ce n’est pas si grave, l’ensemble des petits grignotages de nos droits sociaux est en train de devenir l’image d’un avenir absolument terrifiant. Les US en sont la preuve. Et je sais que lorsque je me réveillerai, il sera probablement trop tard.
La réalité, c’est que je suis morte de trouille. J’ai peur de me retrouver dans la rue, dans une foule. J’ai peur de ne pas savoir quoi y faire ou comment m’y comporter. J’ai peur de me faire arrêter et blesser par la police. J’ai peur de m’épuiser, de refaire exploser mon anxiété et de perdre la relative stabilité que j’ai réussi à construire dans ma vie. J’ai peur de l’impact social sur mon cercle proche si je commence à devenir « une extrémiste ». Et j’ai peur que tout ça ne fonctionne pas et ne serve de toute façon à rien parce que l’immobilisme et les puissants gagneront toujours. Et oui, j’ai bien conscience que mon propre immobilisme fait le jeu des puissants en question.
La colère et le soi ?
Alors que je vois une psychiatre pour mes insomnies, elle prête une attention qui me paraît démesurée à mon humeur. Je sens, à chaque visio, sous chacune des questions prudentes du début d’entretien, qu’elle évalue et recherche des symptômes de dépression. Je m’en étonne toujours, parce que je lui ai dit et redit que je n’avais pas ce type de soucis. Elle persiste car « les états d’anxiété chronique s’accompagnent très souvent d’un état dépressif ». Et je crois que je sais désormais ce qui me sauve.
Je crois que mon mental me protège, en oblitérant un peu la réalité du monde dans mon quotidien. Je ne suis pas en déni. Je sais à quel point le monde va mal, je le vois aller vers le pire et j’en mesure les conséquences. Je ne me cache pas derrière des théories complotistes, je ne suis pas protégée par une quelconque foi religieuse et je ne me laisse pas convaincre par les boucs émissaires et les pansements proposés par certains groupes de droite. Je sais qu’on va dans le mur. Et je choisis, la majorité du temps, de simplement fermer les yeux pour arrêter de le voir approcher.
Je l’ai vraiment réalisé en retournant sur insta après une année de sevrage complet : un seul post militant et je me suis repris dans la gueule une vrille d’anxiété, de colère, de rage, d’incompréhension et d’impuissance qui m’a retourné le cerveau pendant presque une heure. Pour un message, j’ai eu envie de pleurer et de mettre le feu au monde. Et… ce n’est pas moi. L’image mentale de ce que je rêverai de pouvoir être : cette personne dressée fièrement qui se bat sur une barricade et qui met le feu. Ce n’est pas moi. Je n’ai ni les capacités physiques, ni la force mentale, ni l’endurance, ni la capacité à désobéir ou à faire preuve de violence (même justifiée). C’est juste un fantasme que j’idéalise, mais dans lequel je ne me reconnais pas. Et la dissonance entre cette immense vague de colère et l’impossibilité totale de les extérioriser sans trahir mon identité est une déchirure intérieure que je ne sais pas comment combler.
Ne pas abandonner :
Aujourd’hui, il y a des choses que je ne fais pas ou plus :
- Aller en manif
- Lancer de moi-même un sujet clivant dans une discussion
- Écouter les infos
- M’informer activement, partager et communiquer des problématiques militantes sur les réseaux sociaux
Et il y a des choses que je fais :
- Voter (selon mes convictions)
- Être ouverte sur mes opinions et mon positionnement politique quand le sujet est lancé
- Tenter d’incarner mes valeurs dans ma vie quotidienne ; notamment l’ouverture d’esprit, la bienveillance, l’accueil et le non-jugement, l’entraide.
- Partager mes valeurs et mes opinions à travers mes écrits, ici et dans mes textes de fiction.
C’est trop peu à mon goût, surtout lorsque l’on voit l’état du monde et l’avenir qui se prépare. Et je cherche encore des solutions pour faire plus. Mais il me faudra trouver des solutions qui me permettent de continuer à vivre, à manger et à dormir en dépendant le moins possible de médocs (pas parce que c’est mal en soi, mais parce que ça implique du mal être, de l’argent, une dépendance parfois brutale et des effets indésirables).
Je me débats encore avec la culpabilité et l’obsédante question de la limite : quand est-ce que ce sera trop ? Quand est-ce que la France n’aura plus d’autre espoir que dans le combat et le sang ? Et quand ça arrivera, est-ce que je serais capable de le voir et de me battre quand même, ou est-ce que je resterai le mouton d’une dictature ? Je sais la réponse que je voudrais donner, mais je ne suis pas capable de promettre qu’elle sera vraie.