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Développement, Errances

Mon rapport à l’argent

Parce que cela parle de moi, de ma vie d’artiste mais aussi de mon rapport à l’écologie et au slow… et parce que c’est un sujet qui m’inquiète régulièrement depuis quelques années déjà, j’ai décidé de vous faire un article sur mon rapport à l’argent.

Qu’il soit clair que je n’ai ici aucune intention de me plaindre. Je m’en sors très bien, j’en ai conscience et je sais que la question est très très différente pour les familles avec enfants et avec des salaires bien moindres que le mien (ou celui de mon compagnon). Mais avoir conscience de mon privilège ne m’empêche visiblement pas de me faire des noeuds au cerveau. Même si c’est, en ce qui me concerne, un problème de riche ou presque.

D’où je viens et où je suis

Je n’ai jamais eu l’impression, étant petite, de vivre dans une famille où l’on se posait des questions sur l’argent. Nous avons toujours mangé à notre faim et en nous faisant plaisir, nous avions une maison avec jardin, chacun de mes parents avait une voiture et nous partions en vacances tous les ans. J’étais persuadée d’être favorisée et de vivre dans une famille de la classe moyenne supérieure. Et puis… un jour, j’ai répondu à un questionnaire pour la thèse de quelqu’un, et il m’a dit un truc : en fait, j’ai grandi dans la classe populaire.

Aujourd’hui, avec le recul, j’en ai conscience. Je sais que nous étions globalement peu dépensiers, que nous n’avons jamais acheté de marques, que nous partions en vacances en France et en voiture, que les sorties au restaurant étaient plutôt rares et que mon père ne faisait pas des chantiers supplémentaires le week-end pour le plaisir.

Quoiqu’il en soit, j’ai fait des études longues et j’ai été diplômée d’un métier qui offre un bon salaire. Quand je suis sortie de l’école et que j’ai gagné 1700 euros net par mois, j’avais l’impression d’être immensément riche. Ce n’était pas entièrement faux, quoiqu’un peu exagéré. Puis j’ai gagné 2000 euros et j’ai eu cette sensation à nouveau. Mais toujours, mon niveau de vie augmentait au même rythme que mon salaire.

Pourtant, je ne suis pas trop matérialiste. Mes loisirs se déroulent en grande partie sur mon canapé avec mon ordinateur, un carnet, ou dans un parc avec mon appareil photo. Je n’aime pas les vêtements ou les bijoux (je déteste le shopping). Je n’aime pas les voyages. Mes luxes sont de vivre en ville avec une voiture hybride récente, d’avoir des solutions pour ne pas cuisiner, d’avoir deux ordinateurs, un smartphone, une liseuse et un appareil photo, de me faire des tatouages et de ne pas me réfréner sur mes dépenses de santé. Ma vie est très très confortable. Et oui, j’ai conscience que dans notre pays aujourd’hui : le confort et la sécurité financière sont un luxe.

Travailler moins pour gagner moins

Et parce que mon niveau de revenu me le permet, j’ai décidé de faire quelque chose de très luxueux : je suis passée à temps partiel.

J’ai un métier prenant en énergie (surtout mentale) qui demande de la réflexion, de la minutie, de la communication, de l’adaptabilité et avec des responsabilités. C’est un métier qui n’est clairement pas fait pour moi : l’autiste TDAH avec anxiété chronique. Je sais qu’il pèse sur ma santé mentale et physique. Je sais que les rendez-vous kiné, ostéo, psychologue, psychiatre, médecin et les médocs (pour le sommeil, pour les soucis digestifs, pour les maux de tête…) serait beaucoup moins nécessaire sans ce travail. J’y reste parce que je l’aime malgré tout, que j’adore mes collègues, qu’il me permet de bien gagner ma vie et que changer m’enverrait dans une précarité qui n’aiderait en rien mon anxiété. Alors, parce que changer de métier n’est clairement pas la solution, j’ai décidé de diminuer au maximum mon temps de travail, quitte à gagner moins.

Et ça tombe bien, parce que c’est une philosophie qui correspond à mes valeurs de santé physique et mentale et à mes valeurs écologiques sur les limites planétaires, le capitalisme, la décroissance et la théorie économique du donut (suivez les liens si vous n’avez jamais creusé ces notions). Travailler moins pour gagner moins et dépenser moins ; c’est une direction qui me paraît censée et nécessaire pour l’avenir du monde et de la planète. Mais c’est aussi un équilibre à trouver avec la sécurité et le confort qu’apporte l’argent.

Cigale ou fourmi ?

En parallèle de la question du niveau de salaire et du niveau de vie se pose la question de l’épargne. Faut-il mettre scrupuleusement de côté ou tout cramer ?

Tas de pièces de monnaie

Tout le monde sait que la réponse à donner est celle de la fourmi, la fable de la Fontaine nous l’a appris. Pour autant, est-ce vraiment égoïste de vouloir se faire plaisir en utilisant l’argent que l’on gagne en échange de notre travail ? Je n’ai pas l’intention de laisser d’héritage. Je n’ai pas d’enfants et je n’en veux pas. Je n’ai même pas de neveux ou de nièces. Et comme dirait ma mère : « ton coffre-fort ne suivra pas ton corbillard ». Je ne devrais pas ressentir le besoin d’accumuler de quoi vivre plusieurs années sur mes comptes épargne.

La confiance en l’avenir… ou pas

Le souci, c’est que je ressens le besoin d’épargner énormément pour une raison simple : je n’ai aucune confiance en l’avenir.

Je n’ai pas confiance en ma santé physique et mentale. Je ne veux pas avoir à continuer de travailler quand mon corps me dira stop (parce que soyons honnête, j’ai moins de 40 ans et il commence déjà à le faire à travers à travers plein de petites choses). Je ne veux pas devoir me forcer à travailler quand ça deviendra trop : quand j’aurais fait un second cancer ou quand mes articulations me diront merde à chaque geste.

Je n’ai pas confiance en nos institutions. Je sais que le système de retraite se casse la gueule, qu’on nous demande de travailler de plus en plus longtemps. J’ai peur que d’ici 10 ou 20 ans, les pensions de retraite deviennent invivables à moins de bosser jusque 70 ou 75 ans, que les pensions d’invalidité se limitent à une très très étroite minorité et que les minimums sociaux aient simplement cessé d’exister. Je sais que je n’aurais pas zéro. Ou du moins, je veux croire que la France ne tombera pas assez bas pour laisser la grande majorité de sa population sans rien du tout. Mais je ne suis pas du tout persuadée que j’aurais plus de 300 ou 400 euros par mois en récompense de mes années de travail et de cotisation. Surtout si je prends la décision de ne pas faire mon temps jusqu’au bout.

Et ça, ça veut dire que mon cerveau anxieux fait des simulations qui se basent sur une absence totale de données. Comment estimer combien je dois mettre de côté pour tenir jusqu’à ma mort en ne sachant pas s’il me reste 20 ou 50 ans à vivre ? Si je toucherai une retraite de 1000, 500 ou 100 euros par mois ? Si mes dépenses de santé auront explosé dans un monde où la sécurité sociale ne remboursera plus que le minimum nécessaire à la survie à court terme ?

Alors, en attendant de le savoir (c’est-à-dire : jamais), la question de l’argent est une angoisse de fond plus ou moins permanente alors que mon niveau de vie devrait m’épargner ça. Je sais que c’est ridicule et que je ne peux de toute façon rien y faire. Mais je sais aussi que je ne suis pas la seule.

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