Parce que je voulais traiter de la méthode d’écriture des jardiniers au-delà des habituels « ça vient tout seul » et « c’est mes persos qui décident », j’ai décidé de combiner un article de blog et un épisode de podcast. C’est un sujet assez vaste, ce qui me donne l’occasion de le traiter selon deux approches différentes et complémentaires.
Le Hors Sujet de mon podcast « Auteurices jardiniérs et structure des textes, une équation insoluble ? » déroule les grandes idées : la structure au fil du texte ; le rôle des blocages, les options et les aides pour trouver des solutions ; la structure à l’échelle d’une série et la progression. Pendant ce temps, cet article se penche sur des exemples concrets tirés de mon expérience. N’hésitez donc pas à aller écouter le podcast en complément, c’est ici.
Quand commencent les blocages…
Assez étrangement, je n’ai pas eu de soucis avec mes premiers textes. Bon, entendons-nous. Mes premiers jets étaient des catastrophes, et même après deux réécritures intégrales, je n’ai pas réussi à obtenir quelque chose de satisfaisant avec mon premier roman : Le fils du cobra. Je n’ai même pas essayé avec ses suites. Mais je les ai écrits facilement, sans blocage et sans difficulté. Sans doute parce qu’à l’époque, je n’avais pas un regard aussi critique que maintenant sur mes textes. Mes premiers jets étaient mauvais, mais ça ne me posait pas de soucis parce que je ne le voyais pas.
Et puis, j’ai commencé à prendre l’écriture vraiment sérieusement. J’ai progressé suffisamment pour percevoir le potentiel d’un texte et réaliser que je n’arrivais pas à l’atteindre. C’est là que les ennuis ont commencé, parce que c’est là que j’ai réalisé que je ne pouvais pas juste pondre une histoire sur de la « vibe » et espérer qu’elle tienne la route. Je voulais écrire un bon roman, et je voyais bien que mes textes n’en prenaient pas la direction. J’ai commencé à avoir des blocages.
Très honnêtement, je ne me souviens plus dans quel ordre exact j’ai écrit ou tenté d’écrire les romans dont je vais vous parler maintenant. Ce que je sais, c’est que dans chacun des romans suivants, j’ai toujours eu un gros blocage aux environs des 2/3 du texte. Et je n’ai pas toujours géré le souci de la même façon.
Mes romans et leurs leçons :
- La traque raconte l’histoire d’un couple gay, dont l’un devient paraplégique, dans la France rurale du 18ème siècle. Mais en réalité, La traque raconte surtout une variante de l’histoire de la bête du Gévaudan avec des loups-garous pas aussi coupables qu’on le penserait.
Le souci, c’est que j’ai complètement bloqué à environ 70% du texte, parce que rien n’était logique. Les déplacements de mes persos étaient aberrants pour l’époque ; j’avais 60% de ballades dans les bois et de drama sans rapport avec l’intrigue ; les loups-garous débarquaient par hasard et par erreur ; et le vrai antagoniste a été créé en catastrophe au milieu du roman parce qu’il m’en fallait un, sauf que je ne savais pas quoi en faire…
C’est à ce stade que je me suis retrouvée bloquée par mes trop nombreux problèmes. J’avais conscience que je devais tout reprendre à zéro et tout réécrire, mais je ne savais pas comment. Alors, j’ai botté en touche et j’ai choisi de mettre ce roman en pause. C’était en 2017 et je ne l’ai toujours pas repris. Je suis presque sûre que je le réécrirai un jour. Mais à ce moment-là, ça m’a paru insurmontable. Honnêtement, je ne sais pas si je le regrette ou pas. Ce n’est clairement pas une solution, quand ça arrive à répétition. Mais parfois, on est plus dans le mood, le roman a besoin de maturer ou notre écriture de progresser. Et c’est ok de laisser tomber un projet, temporairement ou de manière permanente, pour pouvoir se consacrer à un autre. Il faut juste que ça ne soit pas systématique, si vous avez l’espoir de terminer et de publier un texte. - Nuits Blanches est mon premier roman publié. Il est paru chez reines de coeur en 2019. Mais l’écriture n’a pas été facile. Ce roman était un défi pour moi. À une époque où je n’écrivais que des personnages masculins dans des mondes de fantasy médiévale et n’arrivais pas à créer un perso féminin crédible, j’ai décidé de me lancer dans une romance lesbienne en pleine guerre de gang cyberpunk. Paye la sortie de ta zone de confort ! Le souci, c’est que j’ai bloqué à 70% (oui, encore).
Deux raisons à ça : la première c’est que je n’étais pas suffisamment hypée par mes persos. Moi qui adorais les persos masculins, je réalisais que mes favoris dans ce roman étaient donc tous des personnages secondaires et qu’on ne les voyait pas assez pour que ça me pousse. La seconde raison, plus liée à la structure et la construction du roman, c’est que mes deux héroïnes étaient des pions, complètement dépassées par ce qu’il se passait au-dessus d’elles. Avec uniquement leurs points de vue, les lecteurices n’avaient pas d’informations sur ce qui se tramait, sur les enjeux à plus grande échelle, sur les autres personnes qui luttaient contre l’antagoniste… j’ai donc décidé de revenir en arrière et d’ajouter un troisième point de vue : celui de leur boss (alias chef de gang) qui tentait depuis le début d’identifier l’antagoniste. Et ça tout changé : ma hype et l’implication des lecteurices. Ça reste un point de vue minoritaire, mais il m’a permis de gérer bien mieux mon intrigue et de mieux exploiter les luttes de pouvoir associées à cette guerre de gang.
J’ai eu un problème très similaire sur Jours Rouges, un spin-off de Nuits Blanches encore non publié. Là aussi, j’ai bloqué à 70% du texte en réalisant que mes héroïnes ne me permettaient pas d’avoir une vue d’ensemble suffisante. Et surtout, j’ai réalisé que je ne comprenais pas pourquoi l’antagoniste faisait ce qu’il faisait et comment il réfléchissait. Et sans le comprendre… ses actions n’avaient pas forcément de sens, ni pour les lecteurices, ni pour moi. Là aussi, j’avais besoin de prendre de la hauteur pour avoir une vision d’ensemble et comprendre les enjeux. Et là aussi, j’ai résolu le souci en ajoutant un point de vue. Cette fois, j’ai pris celui de quelqu’un dans le camp ennemi et je pense que ça m’a permis d’avoir un conflit plus réaliste, avec plus d’enjeux et plus d’impact.
Dans ces deux cas, j’ai fait le choix de revenir en arrière en pleine écriture pour rajouter les scènes nécessaires. J’avais besoin de démêler un noeud, de comprendre ce qu’il se passait en arrière-plan pour pouvoir écrire une fin satisfaisante. Ça paraît facile, mais dans les deux cas, le blocage a été long et compliqué. J’ai tenté de forcer pendant des semaines avant d’identifier le fait que j’avais un problème de fond et que je devais vraiment mettre des mots et des idées dessus. J’ai repris ces textes du début alors que j’étais déjà frustrée et dégoûtée par ces romans et ces persos sur lesquels je me cassais les dents (et qui n’étaient toujours pas dans ma zone de confort). Mais cette fois, j’ai fait le choix d’insister. J’ai détricoté l’intégralité de mon histoire avec d’autres auteurices pour demander des avis, et grâce à ces avis : j’ai identifié les problèmes et trouvé des solutions. Ensuite, j’ai réécrit. Clairement, ces deux textes ont pu être terminés parce que j’ai été têtue et que j’ai replongé les mains dans le cambouis malgré mon découragement. Et je pense que c’est ce qui m’a permis d’écrire un roman qui a été choisi et défendu par une maison d’édition. - Habemus Papam a été une autre histoire. Ce roman, il est né d’une image. Lorsque je suis tombée sur l’appel à texte intitulé Du plomb à la lumière, j’ai vu un prêtre combattant un démon, sa croix brillant dans la nuit. J’avais cette idée très précise d’un univers à l’esthétique diesel punk avec des démons, des prêtres guerriers, des flingues et des motos qui roulent dans le sable. J’avais les grandes lignes de l’histoire et j’étais persuadée du potentiel de ce roman. Mais… je n’ai jamais vraiment aimé l’écrire. Très vite, j’ai bloqué. Même aujourd’hui, je ne sais pas vraiment pourquoi ce roman m’a toujours donné autant de mal. Peut-être parce que c’est le seul qui ne comporte vraiment pas de romance. Quoiqu’il en soit, il me sortait (lui aussi) beaucoup trop de ma zone de confort, mais je voulais le terminer parce que je croyais en ce projet. Et celui-ci, je savais que si je l’abandonnais en route, je ne le terminerais jamais. Alors, quand j’ai bloqué, j’ai choisi de rusher la fin en sachant que beaucoup de choses n’allaient pas.
Lorsque j’ai repris ce roman 5 ou 6 ans après pour le réécrire, j’ai réalisé l’ampleur du travail. Mon perso masculin évoluait sans évoluer, mon perso féminin était un ramassis de clichés, les autres persos étaient tout simplement absents et le décor était en carton-pâte. Il n’y avait que mon fil conducteur, qui allait à peu près. Tout le reste était à refaire. Alors, sachant que mon intrigue (pour une fois) était à peu près solide, j’ai réécrit le roman en reprenant en profondeur ma perso féminine. Puis je l’ai corrigé en densifiant le monde, en creusant la logique de l’univers, son histoire et en densifiant les persos tertiaires. Je l’ai fait relire par un sensity-reader et j’ai réalisé tout le boulot qu’il me restait à faire sur les deux héros et… sur le monde. Et encore une fois, il m’a fallu plusieurs mois pour accepter, pour déplacer les pièces du puzzle jusqu’à atteindre la vision d’ensemble qui fonctionnait : un univers qui ne soit pas rétrograde au point de me mettre moi-même mal à l’aise, un perso masculin qui évolue vraiment, une perso féminine dont la représentation n’est pas bourrée de biais racistes et misogynes, une fin porteuse d’un message qui me corresponde mais qui respecte aussi la vision que j’avais du roman à son origine. Il me reste à le reprendre encore.
Ce roman est celui que j’ai le moins aimé écrire. Il est l’un de ceux (avec mon tout premier) qui auront le plus évolués et été retravaillés. Il aura eu plusieurs passes de réécriture importante avec plusieurs niveaux de soucis très fondamentaux à reprendre. Clairement, si ce roman est publié un jour, ce sera le résultat d’un entêtement pur basé sur une étincelle de potentiel que j’aurais décidé de suivre coûte que coûte. Mais ça aura aussi été une grande et longue leçon d’écriture. - Enfin, vient Belle du désert, le roman que je suis en train d’écrire. Lui aussi me sort de ma zone de confort (à se demander si j’écris parfois des romans qui sont dans ma zone de confort…). Il s’agit d’un roman panier : un roman sans héros, sans bataille, sans mort. Un roman qui raconte comment deux peuples aux moeurs différentes vont tenter de négocier un traité, malgré leurs visions du monde et leurs opinions divergentes.
Et dans ce roman, j’ai bloqué beaucoup plus vite ! Peut-être parce que l’expérience accumulée par les années m’a permis de réaliser plus tôt que je commençais à partir dans la mauvaise direction. Peut-être aussi parce que je publie un podcast sur mon processus d’écriture, qui m’oblige à analyser mon texte au fur et à mesure. Quoiqu’il en soit, je n’ai pas bloqué à 70%. J’ai bloqué au chapitre 3, en réalisant que je traitais ce texte comme une romance alors que je ne voulais pas que c’en soit une. J’ai dû revenir au 1 pour tout remettre d’aplomb. Et c’est un progrès dont je mesure l’impact. Si je parviens, sur mes prochains textes, à réaliser les soucis, à les identifier et les corriger aussi tôt dans le processus, je vais gagner un temps fou et m’éviter beaucoup de découragement.
Les graines du progrés
Après avoir parlé de mes textes et de mes blocages, je vais vous parler des choses qui m’ont aidée tout au long du chemin. Ce n’est pas toujours simple, car la plupart des cours d’écriture, des conférences ou des livres de narratologie s’adressent aux auteurices architectes. Il y a pourtant, parfois, des choses intéressantes à en tirer.
Mais la première leçon d’écriture qui a vraiment marqué ma pratique, je l’ai eue sur un forum : Cocyclics. Je ne vous en ferais pas une publicité éhontée, parce que j’en suis partie avec perte et fracas suite à des désaccords profonds. Et ce n’est de toute façon pas tant le forum qui compte que ce qu’il m’a apporté : une communauté d’auteurices, plus ou moins avancés, motivés à s’entraider. Je me souviens encore de cette première leçon. Cela faisait plusieurs fois que je proposais des extraits de mes textes à la critique, et cela faisait plusieurs fois que l’on me parlait de show et de tell. Et un jour… quelqu’un a utilisé les bons mots au bon moment. Et soudain, j’ai compris. Vraiment. Viscéralement. Et je n’ai plus vu que ça : à quel point mon texte était tell. Je crois que ça a marqué le premier vrai tournant de ma vie d’autrice et que ça a été la leçon la plus fondamentale : c’est le jour où j’ai commencé à apprendre à corriger.
Le forum et les personnes dessus m’ont apporté beaucoup plus au fil des ans, des rencontres et des échanges, mais c’est une autre histoire (une que j’ai d’ailleurs déjà racontée ici et ici).
Parlons maintenant d’un autre support : L’anatomie du scénario de John Truby. Ce livre n’était vraiment pas fait pour moi. Non seulement il s’adresse aux scénaristes de l’audiovisuel, mais aussi et surtout aux gens qui planifient leurs histoires. Je n’aurais rien du pouvoir tirer de cette lecture. Pourtant, au milieu des pages et des pages de contenu qui m’étaient totalement inutiles, un élément m’a sauté au visage et m’a apporté quelque chose qu’il me manquait à ce moment là : ce livre m’a aidé à comprendre ce qu’il manquait à mes antagonistes, en me poussant à les traiter comme des personnages principaux. J’ai pris cette claque d’autant plus fort que je m’étais résolue à ne rien tirer de cette lecture. Comme quoi, des perles se cachent parfois aux endroits les plus improbables, et il faut se donner une chance de les trouver en partant en exploration dans des coins insolites.
J’ai reçu d’autres leçons, même si moins importantes, à des conférences et dans des cours d’écriture. J’ai acheté des cours de Cécile Duquenne qui m’ont frustrée car trop orientés vers les architectes et les auteurices débutants, mais qui m’ont permis d’affiner des points de réflexion sur la construction d’univers (ce qu’elle appelle l’arène), sur l’intrigue et sur les enjeux. J’ai participé aux Inspiriales de l’écriture qui m’a offert des conférences bien plus pointues et stimulantes sur des sujets précis comme la gestion temporelle, les dialogues et les fix up. Il y a des choses à prendre un peu partout, des leçons à tirer. Et elles viendront bien plus lentement et difficilement si l’on reste seul face à son texte. On apprend en lisant, en se faisant lire, en écoutant d’autres auteurices et en prenant le temps de se poser sur ses réflexions, ses questions et ses blocages.
C’est tout pour cette fois (et c’est déjà bien long !). N’oubliez pas d’aller écouter l’épisode hors série de mon podcast, qui complète cet article. Et de vous abonner à ma newsletter mensuelle pour rester informés de mes articles, réflexions et actualités. À la prochaine !